mercredi 8 novembre 2017

S



L’Abécédaire du Petit Père Païen

S comme Syncrétisme, éclectisme, panthéon.

Lorsque les Néopaïens n’ont pas d’autres motifs de chamailleries (ce qui est rare), il leur arrive de jouer au Monothéiste (sans choisir le plus éclairé, loin s’en faut), en se faisant les défenseurs zélés de la pureté d’une identité divine, pourfendant avec une rage missionnaire tout mélange cultuel ou toute assimilation de leur divinité d’élection avec une autre.

Ainsi, à l’instar des Témoins de Jéhovah ou des Salafistes, certains Païens n’hésitent pas à refuser toute communication culturelle avec d’autres systèmes polythéistes, arguant d’une irréductibilité totale de leur Tradition, et mettant en avant la singularité absolue de leur Déité et son incompatibilité avec toute autre figure divine, parlant à son égard d’une « individualité » sans équivalent possible.

Et nous ne sommes pas loin de leur donner raison, considérant que la pluralité culturelle et cultuelle de l’Humanité n’est pas le résultat d’une chute et ne provient pas d’un regrettable accident destiné à être corrigé à plus ou moins brève échéance historique, mais est au contraire l’expression providentielle d’un pluralisme inhérent au Divin, dont l’essence, pour unique qu’elle soit, ne peut être perceptible et compréhensible à l’âme qu’au travers de la multiplicité et du chatoiement habitant toute existence.

Mais ce pluralisme qu’affichent nos zélotes Païens cache bien souvent les germes d’une dangereuse dérive, dont il nous semble que le Monothéisme exclusif est issu : celle de la monolâtrie. Cette notion se distingue du Monothéisme, en ce sens qu’elle suppose l’attachement exclusif à une figure divine au détriment des autres, sans pour autant nier ces dernières. Cette dérive théologique fut apparemment très active dans les civilisations de l’Orient Ancien, sans pour autant dégénérer en Monothéisme, sauf dans le cas particulier d’Israël.

Si l’on en croit, en effet, les historiens de la Mésopotamie Ancienne, et notamment Jean Bottéro, les peuples de l’Orient Ancien vouaient couramment des cultes quasi exclusifs à des divinités « nationales », garantes de leurs succès militaires et de leur épopée nationale, comme Marduk pour Babylone ou Assur des Assyriens, Dieu éponyme de ces derniers. Ces archontes nouaient des liens exclusifs avec un peuple dont ils étaient le Dieu ancestral, et affrontaient leurs adversaires et collègues tels des généraux en chef ; c’est ainsi qu’on put voir les « vaincus », comme Marduk, par exemple, être « capturés », et même partir en déportation à l’instar des otages princiers.

De telles divinités ont sans doute servi de modèle à la conception vétérotestamentaire du Dieu d’Israël, « Seigneur des Armées », qui, au départ, devait être objet d’une telle monolâtrie, avant de devenir, au-delà du destinataire exclusif des dévotions de son peuple, la seule Divinité concevable dans l’univers, à l’exclusion de toute autre.

C’est probablement par ce processus d’exclusivité théologique que le Monothéisme abrahamique est entré sur la scène de l’Histoire, et non, comme on le dit souvent, par le processus inverse d’inclusivité et de coalescence divine de type hénothéiste, tel qu’on peut l’observer par exemple dans les religions Isiaques, Dionysiaques, ou encore dans l’Hindouisme. Ce dernier processus a plutôt conduit à une forme de Monisme, c’est-à-dire de « Monothéisme » inclusif respectueux de la pluralité divine, malgré  les procédure syncrétiques qui peuvent agir au sein de ces Panthéons, ou plutôt grâce à elles.

C’est pourquoi nous sommes perplexes lorsque nous voyons des Païens affirmer à grand bruit qu’ils « croient à Thorr, mais pas à Jupiter », et protester dans le même temps, la main sur le cœur, de leur respect des Traditions qui ne sont pas les leurs. Car, s’il est un article de foi dans le Paganisme, c’est bien celui-ci : tous les Dieux sont « vrais », ou bien aucun ne l’est. Cela n’implique en aucun cas de leur rendre un culte exhaustif (qui le pourrait !) ni de les connaître intégralement, mais au moins d’en reconnaître la validité, et à travers elle le caractère authentiquement religieux de chaque peuple à travers ses spécificités cultuelles.

Et c’est à peu près ce que faisaient les Anciens, même s’ils ne se privaient pas de critiquer certaines de ces spécificités : les Grecs, par exemple, avaient du mal à digérer l’apparence thériomorphe des Dieux égyptiens, dont le sens leur échappait, et les Romains réprouvaient les sacrifices humains supposés courants chez certains peuples « barbares », bien qu’ils l’aient eux-mêmes pratiqués en des temps pas si éloignés.

Car il en est des panthéons un peu comme des langues : qui oserait, sous peine de faire montre de la plus risible bêtise, considérer que le mot « maison » est plus adapté que le mot « casa » pour désigner le lieu où l’on habite ? Une telle vision des choses est marquée au coin de la plus confondante des naïvetés. Celle-ci fut en partie, il est vrai, le fait des anciens peuples, en particulier des Grecs et des Romains, lorsqu’ils qualifiaient les autres nations de « Barbares », à cause du fait qu’ils n’en comprenaient pas l’idiome. Mais, outre que cette façon de penser fut quasi universelle à une certaine époque, elle fut bien vite compensée dans le monde méditerranéen par un grand intérêt pour les mœurs, langues et coutumes religieuses des autres régions du monde.

Ainsi, les Grecs pratiquèrent-ils très tôt l’interpraetatio graeca, notamment à l’égard des Dieux égyptiens : il s’agissait pour eux de chercher, dans le panthéon d’un peuple non Grec, des équivalents approximatifs de leurs propres figures divines. Les Romains firent de même avec tous les peuples avec lesquels ils entrèrent en contact. Les Égyptiens l’avaient déjà fait bien avant eux, pratiquant un syncrétisme actif à la fois interne et externe à leur panthéon de référence. En effet, ils y ont intégré de façon précoce des divinités d’origine étrangère, notamment proche-orientale ; de même, leur propre système panthéonistique s’est formé par des coalescence de différentes figures divines issues des rives du Nil, dont on peut dire qu’elles pratiquèrent allégrement les prises de participation dans leurs mythes respectifs… Sans parler du système cultuel mésopotamien qui, dès le départ, s’appuya sur un syncrétisme duel suméro-akkadien, dont la figure d’Inanna-Ishtar est une des plus marquantes, promise d’ailleurs à une grande fortune cosmopolite à travers toutes les Astarté de la méditerranée…

En vérité, aucune culture ne fut jamais isolée des autres, conservée à l’abri de toute influence dans une sorte de pureté archétypale, tant linguistique que religieuse. Les Dieux et Déesses, comme le montre l’excellent ouvrage de Corinne Bonnet et Laurent Bricault ( Quand les Dieux voyagent, cultes et mythes en mouvement dans l’espace méditerranéen antique Labor et Fides 2016), ont toujours voyagé, avec, certes, plus ou moins de bonheur. De même, les langues de l’humanité, quoique très variées dans leurs systèmes et leurs moyens d’exprimer le monde, et possédant chacune une personnalité très marquée, ont toujours emprunté les unes aux autres du vocabulaires et des tournures de style ou de syntaxe. Ainsi, comme tout organisme vivant, évoluent-elles en permanence, malgré, parfois, le désir infantile de certains de leurs locuteurs de les maintenir pures.

Il en est de même des religions, et en particulier des Paganismes. En effet, comme nous venons de le voir, ces derniers ont un caractère essentiellement syncrétique, par construction même. On peut dire en revanche qu’une des caractéristiques fondamentales du Monothéisme est précisément l’obsession de la pureté, cette dernière étant perçue, à tort nous semble-t-il, comme l’expression et le garant de la transcendance du Dieu unique dont ils se disent les sectateurs. Ainsi, nous avons d’un côté Dame Isis qui, avant même de sortir de son Égypte natale, s’attache progressivement la personnalité de toutes les Déesses qu’elle rencontre, et de l’autre côté l’intraitable Yahvé qui refuse d’être assimilé à Chronos-Saturne.

En effet, dès l’Ancien Testament, le rapport Monothéiste à la divinité est caractérisé par un double mouvement négatif : d’une part, l’affirmation que la Divinité invoquée ne ressemble à rien d’autre, et l’interdiction de toute association avec quelque autre essence que ce soit (l’ « idolâtrie » étant perçue comme le mal absolu en matière de religion), d’autre part la mise en avant d’un caractère radicalement singulier et individuel (Yahvé commence les « Dix paroles » par « Moi-Je (suis)» (Anokhi), en reliant ce pronom à un événement historique singulier et non reproductible « le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Égypte »). Le syncrétisme, pratiqué abondamment dans l’Ancien Israël, y compris par les élites politiques, fut considéré par les prophètes réformateurs à l’origine du Judaïsme comme un fléau majeur, à telle enseigne qu’on pourrait presque définir le Judaïsme comme une forme puritaine et anti-syncrétique de la religion cananéenne dont elle est probablement issue.

Ces traits caractéristiques du premier Monothéisme furent transmis avec plus ou moins de bonheur à ses héritiers : en Islam, par exemple, les « associateurs » (Ash-shirk, cf. Coran 5 :7) représentent le mal radical et sont à ce titre voué aux pires supplices, en ce monde comme dans l’autre. Cela n’a pas empêché l’Islam de connaître d’inévitables dérives syncrétiques au gré de son expansion. Mais celles-ci furent régulièrement combattues par les courants puritains et fondamentalistes dont l’apparition récurrente marque depuis ses origines la religion de Mohammed. Ainsi, les Wahhabites et leurs héritiers Salafistes furent, on le sait peu, les principaux destructeurs de lieux saints…Musulmans !

Le Christianisme ne fut pas en reste, malgré les apparences. On pourrait croire en effet qu’il fut dès sa formation le résultat d’un syncrétisme de grande envergure entre un judaïsme hellénisé, largement répandu dans le monde méditerranéen, et des Paganisme en cours de coalescence moniste. Ce n’est à notre avis qu’une apparence : dès les débuts de cette religion, en effet, des séparations furent nettement établies entre les éléments licites, compatibles avec les Écritures, et les autres. Les Eglises primitives n’ont eu de cesse, dès les premiers siècles, que d’éradiquer les démarches syncrétiques qui pouvaient se faire jour ici et là ; et, comme pour l’Islam, l’Histoire du Christianisme est marquée par la récurrence de courant réformateurs motivés par un retour plus ou moins radical à la « pureté » des origines.
 
Et si le Catholicisme a pu faire illusion, allant parfois jusqu’à séduire certains Païens, parce qu’il fut marqué au Moyen-Âge par des formes plus ou moins syncrétiques encore visibles aujourd’hui dans le folklore, il n’est pas en reste en matière de répression des formes hybrides, comme le montre dans les années 40 la très violente campagne de « déchoukaj » menée par l’Église en Haïti pour éradiquer le Vaudou, qualifié d’« horrible mélange ».

Ainsi, s’attacher exclusivement à un panthéon « national » au détriment des autres systèmes polythéistes, et refuser par principe toute relation possible avec eux sous prétexte d’éviter un mélange délétère relève donc bien, à notre sens, du complexe du peuple élu. Poussé jusqu’à ses ultimes conséquences, cet exclusivisme peut conduire aux pires violences, et la figure divine qui servirait de prétexte à ces violences, symboliques ou réelles, importe peu : elle peut indifféremment s’appeler Yahvé, Wotan, Allah ou Jupiter.

Mais le contact et l’échange entre cultures sans retenue ni discernement ne doit pas non plus conduire à une confusion totale de celles-ci. Si l’on poursuit notre comparaison avec les systèmes linguistiques, il ne s’agit pas d’aboutir à un charabia universel qui noierait toutes les langues dans une soupe sans structure ni saveur. Chaque langue, outre un stock de vocabulaire cohérent caractérisé souvent par une origine dominante, porteuse d’une certaine vision du monde, est également structurée par une syntaxe bien définie, ne permettant pas n’importe quelle manipulation.

Or, les Dieux sont pour nous les opérateurs symboliques qui permettant d’articuler le monde, non dans un but de communication, comme dans le cas d’une langue, mais dans un but de communion. Ainsi, chaque système panthéonistique, né dans une culture donnée, est-il porteur d’une vision du monde cohérente, se suffisant à elle-même, du moins dans la mesure où cela est possible au niveau sensible et corporel. 

Comme nous l’avons mainte fois souligné (cf. P comme Piété Païenne et Polythéiste), les Divinités d’un Panthéon donné ne sont pas interchangeables, et ne sauraient constituer des électrons libres qu’on pourrait impunément détacher et mélanger avec n’importe quelles autres divinités. Dans chaque panthéon, en effet, les divinités forment un théosystème dans lequel elles sont en systase : seule, l’invocation rituelle de leurs noms et épiclèse dans le cadre du culte rend leur individualité patente, alors que celle-ci reste latente pour nous lorsqu’on régresse à l’état profane. Dit autrement, au moment où l’on oriente son intention vers un Dieu, l’on se tourne en fait vers tous les autres, mais sous le mode relationnel particulier auquel ce Dieu préside.

Poursuivant notre comparaison, si chaque individu, en effet, se constituait sa langue propre en « cueillant » dans chaque idiome de l’humanité des éléments de vocabulaire et de syntaxe, personne, à terme, ne comprendrait plus personne : la confusion des idiomes aboutit à l’idiotie, c’est-à-dire à l’enfermement universel de chacun dans sa confusion particulière.  Il ne s’agit pas pour autant de nier le caractère à la fois collectif et profondément personnel du langage, mais simplement de reconnaître qu’il ne peut assurer sa fonction qu’en réunissant les locuteurs dans une plus grande intercompréhension possible, afin de tisser une société, ce qui est une de ces fonctions principales.

Or, si l’on reconnaît la validité du fait religieux, on ne peut, à notre sens, qu’approuver le caractère nécessairement panthéonistique des Paganismes, pour lequel nous plaidons. Soit, en effet, on ne reconnaît à la religion aucune autre valeur que celle d’une recette de développement « personnel » (il conviendrait mieux de parler alors de développement individuel), mais alors cela nous semble relever de la pure illusion entretenue par la modernité mercantile pour maintenir chacun dans la sujétion de l’égo ; soit, au contraire, il faut que cette religion effectue pleinement sa mission de communion, c’est-à-dire d’élaboration du cristal social en vue de l’émancipation du sujet et, à terme, de l’épanouissement total de la personne.

Il est donc nécessaire, dans cette perspective, d’adopter en matière religieuse un principe de syncrétisme, plutôt qu’un principe d’éclectisme. Mais, arrivé à ce point de notre méditation, les choses se compliquent singulièrement. Car, s’il va de soi que votre serviteur s’est longuement documenté sur le sens de ces deux mots afin de ne pas en user à tort et à travers, car « mal nommer les choses », disait Camus, « c’est ajouter au malheur du monde », la première conclusion de notre enquête de vocabulaire est qu’on pourrait pratiquer avec profit un syncrétisme des définitions du mot syncrétisme…Sans parler du mot éclectisme.

Tâchons donc d’y voir plus clair.

Le syncrétisme, d’après la plupart des dictionnaires, provient d’un mot grec étrange, un hapax (c’est -à-dire un mot à occurrence unique) de Plutarque, signifiant « l’union des Crétois ». Le philosophe de Chéronée désignait par ce mot (en fait un verbe, sugkrétizein) une coalition militaire réalisée par les Crétois contre un ennemi commun menaçant d’envahir l’île, alors qu’ils étaient d’habitude un parfait exemple de division.

Le mot ne réapparaît ensuite qu’au XVIème siècle sous la plume d’Érasme, dans ses Adages, où il évoque la nécessité pour les sages de serrer les rangs contre les barbares ennemis des lettres, c’est-à-dire les rigoristes religieux qui sévissaient à son époque.

Ce terme savant connaîtra une grande fortune, mais sa connotation, positive chez Érasme, va ensuite évoluer vers une connotation franchement négative. Il désignera d’abord, dans le courant du XVIème siècle, les tentatives de conciliations théologiques entre les différentes Églises protestantes, ainsi que les efforts des humanistes, comme par exemple Pic de la Mirandole, pour effectuer une synthèse des différents systèmes philosophiques de l’Antiquité (notamment Platon et Aristote), ainsi que de celles-ci avec le Christianisme.

Au XVIIème siècle, le mot devient nettement péjoratif, notamment après la « Querelle Syncrétiste » à laquelle furent mêlés, notamment, Leibniz et Bossuet. Le syncrétisme en vient alors à désigner des compromis et des synthèses boiteuses : il est nettement discrédité. Dans l’Encyclopédie, Diderot flétrit le syncrétisme aux dépend de l’éclectisme, qu’il loue.

C’est par l’Histoire des Religions que le syncrétisme sera finalement réhabilité au XIXème siècle, avec le grand chercheur Belge Franz Cumont, notamment. L’usage du terme s’accompagne alors de nombreuses métaphores chimiques : « mélange, alliage, fusion, composé ». Il désigne certains processus d’interpénétrations culturelles, et a tendance à s’opposer à la notion de classicisme, qui renvoie à une idée de pureté. Pour Raffaele Petazzoni, le syncrétisme est un phénomène universel accompagnant la naissance et l’évolution de toute religion. La Religion Romaine, comme toutes les religions antiques, fut syncrétiste dès ses débuts, en vertu du synécisme dont Rome, comme Athènes, furent la résultante. Les Anciens eux-mêmes ont clairement rendu comptes de ses phénomènes.

Cependant, « syncrétisme » reste, dans les dictionnaires, fortement ambigu : il désigne d’abord une synthèse de différents éléments culturels ou doctrinaux, une tentative de conciliation entre plusieurs systèmes, donnant lieu à une combinaison plus ou moins harmonieuse, et pouvant aboutir à un système nouveau ou à une confusion. En Psychologie, le terme désigne un stade infantile de la perception du monde, ou tous les éléments de l’environnement du jeune enfant sont encore appréhendés dans une unité globale et fusionnelle, antérieure à une connaissance analytique et rationnelle.

On utilise aujourd’hui ce mot essentiellement pour désigner des phénomènes religieux : d’abord les réinterprétations et les recompositions qui eurent lieu durant l’Antiquité Tardive en méditerranée, ensuite, et surtout, pour rendre compte de la formation d’une nouvelle catégorie religieuse, celle des religions Afro-Américaines, dans le creuset de l’esclavage. C’est le cas par exemple du Vaudou haïtien, du Candomblé brésilien, de la Santeria cubaines, ou encore du Caodaïsme vietnamien ou de la plupart des croyances locales indonésiennes.

Mais quelle est la différence entre syncrétisme et éclectisme ? Le dictionnaire Robert, suivant en cela Diderot et Victor Cousin, valorise nettement le second au détriment du premier : il parle à son propos de « mélange » ou de « combinaison peu cohérente ». 

L’éclectisme a d’abord désigné une école philosophique née dans l’Alexandrie antique, celle de Potamon, qui recommandait aux chercheurs de sagesse de « choisir » (eklegein) ce qu’il y a de mieux dans chaque système philosophique. La naissance du Néoplatonisme, par le truchement d’Ammonius Saccas, maître de Plotin, lui doit beaucoup.

Quant à Diderot, il lui trouve toutes les vertus car, selon lui, il s’oppose au dogmatisme, c’est-à-dire au sectarisme philosophique ou religieux. Au XIXème siècle, l’éclectisme connait un âge d’or en servant à désigner une école philosophique, celle de Victor Cousin qui propose d’emprunter à toute doctrine ce qu’elle a de vrai, et d’écarter ce qu’elle a de faux. 

En matière de culture, enfin, l’attitude éclectique (eklektikos signifiant ici « sélectif ») est nettement valorisée : elle suppose une grande ouverture d’esprit. Pourtant, il lui arrive aussi d’être considérée comme une marque de légèreté et d’inconséquence : elle révèlerait un refus du choix, un manque d’engagement, le gout de la juxtaposition aboutissant à la parathèse. Pour Jacques Maritain, écrivain et penseur catholique du début du XXème siècle, il s’oppose à l’universalisme véritable.

Il est, comme on le voit, difficile de se « faire une religion » sur ces deux notions. 

Dans le petit monde des Païens contemporains, deux visions apparemment inconciliables semblent s’affronter : d’une part, les Païens « éclectiques », plus ou moins proches de la Wicca du même nom, promue dans la francophonie à travers l’œuvre de Scott Cunningham, d’autre part, celle des Païens « reconstructionnistes », c’est-à-dire attachés à une Tradition antique et défenseurs plus ou moins farouches d’une identité qu’ils rêvent pure.

Les premiers sont vus par les seconds comme d’infâmes bricoleurs, faisant en amateurs des religions antiques ; on les dépeint volontiers comme des traîtres, des fossoyeurs de tradition, et tous les noms d’oiseaux de la radicalité politique ne parviennent pas à épuiser la détestation dont ils sont l’objet. Essoufflés, à cours d’argument, leurs détracteurs finissent par les qualifier de « faux Païens ». Or, pour nous, il va de soi qu’il n’y a pas plus de « faux Païens » que de « faux Dieux ».

A l’inverse, les seconds passent volontiers, au mieux pour des sectaires psychorigides, au pire pour des nostalgique du Troisième Reich. La Tradition dont ils se réclament est considérée a priori comme suspecte, et suspecte également la sincérité de leur foi et de leur démarche spirituelle. Quand ils ne sont pas accusés d’instrumentaliser leur religion à des fins politiques, on leur reproche de n’être que des saltimbanques de fêtes médiévales ou des rôlistes en mal d’émotions fortes.

Or, si cette vision à la fois dualiste et hautement caricaturale du monde Néopaïen francophone ne manque pas d’une certaine justesse, elle est malheureusement largement véhiculée par l’image qu’en donnent les rares médias qui s’y intéressent. Pire, certains chercheurs se complaisent avec une certaine paresse dans ces représentations simplistes et légèrement datées.

Pour tenter de sortir de cette impasse dans laquelle Païens et Païennes semblent être coincés, non sans une certaine complaisance pour certains, nous proposons de faire l’éloge du syncrétisme, comme étant le principe ecclésiologique propre aux spiritualités non monothéistes basée sur une théologie panthéiste.

Qu’est-ce à dire ? 

D’abord, en tant que panthéistes (ou panenthéistes), nous devons commencer à reconnaître que nous ne pouvons renoncer au principe eu Panthéon. Comme nous l’avons écrit ailleurs (P comme Piété…), le Polythéisme n’est pas un Monothéisme à répétition, et les Dieux du premier sont d’une espèce radicalement différente du Dieu du second. Il s’ensuit que l’on ne peut, sous peine de ne faire que collectionner des nains de jardins, collectionner des entités divines hétéroclites sans liens symboliques ou mythique entre elles. 

Cette attitude accumulative est purement quantitativiste, et, en tant qu’elle est centrée sur l’arbitraire du choix individuel, constitue l’inverse d’une véritable spiritualité. En effet, la parathèse à laquelle elle conduit disperse l’âme dans l’anecdotique et l’insignifiance toujours répétée, plutôt qu’elle ne la conduit dans la voie d’une épopée personnelle (d’une légende personnelle, dirait Paulo Coelho), poussant l’individu vers son recueillement, puis vers son époptie auto-transfiguratrice, c’est-à-dire vers ce « Devenir Dieu » qui est le but commun de toutes les voies spirituelles basées sur le Panthéisme.

Pas d’images Panini des Dieux, donc, mais l’image panique d’un Dieu qui n’est ni un ni plusieurs, et les deux à la fois. Or, assurément, s’il n’est pas question de se bricoler un Panthéon de poche, il est nécessaire de se référer à ceux des Anciens. Et ceux-ci, pour cohérents qu’ils fussent, n’en étaient pas moins souples et fluctuants. Et de même qu’aucun locuteur d’une langue quelconque ne peut prétendre connaître l’intégralité du vocabulaire de celle-ci, aucun de nos Ancêtres, si cultivé fut-il, ne connut jamais les divinités qui peuplaient son panthéon traditionnel avec exhaustivité.

Il faut, nous semble-t-il, commencer par reconnaître simultanément le caractère traditionnel et le caractère syncrétique de nos panthéons. Cette reconnaissance doit avoir pour nous valeur fondatrice et valeur didactique. Elle doit nous rappeler notre dépendance à l’égard de notre héritage, ainsi que notre humilité à l’égard des Dieux, qui circulent à travers toutes choses, changent de formes à loisir et aiment parfois à tromper les mortels trop figés dans leurs certitudes.

Pour illustrer notre propos, une comparaison nous est venue à l’esprit. Dans le système panenthéiste qui est le nôtre, les Dieux peuvent être comparés aux rayons d’un soleil obscur, car radicalement inconnaissable, qui serait leur source commune. Ce soleil, lui-même non révélé, révèlerait toutes choses à travers l’émission permanente de sa lumière, elle-même mystérieusement issue de son contraire.

Qui peut prétendre compter les rayons d’un tel astre ? S’agira-t-il d’un halo unique, ou au contraire d’un nombre indéfini d’axes lumineux ? Plus encore : qui peut avoir l’audace d’individualiser chaque rayon ? Qui osera affirmer que la lumière qui m’éclaire le matin est foncièrement différente que celle qui m’éclaire le soir ? Ou encore que le rayon qui frappe la mer est maritime et celui qui frappe la forêt, forestier ?

Il faut, croyons-nous, accepter que les Dieux, en soi, n’ont pas de noms, ou plutôt qu’ils n’ont pas forcément ceux qu’on leur donne. Il faut se résoudre à ne pas les dénombrer, à ne pas les dénoncer, et comprendre qu’ils ne sont, dans leur essence, ni un, ni plusieurs. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que c’est nous, les mortels (et plus particulièrement les plus pénétrants d’entre nous, les plus voyants) qui leur ont attribué des noms, en fonction des aspects de la Réalité qu’ils avaient la générosité de nous désigner par leur lumière : ainsi le rayon qui illumine la Mer est-il, par extension, le Maritime, et celui qui baigne l’arbre de gloire est-il, métaphoriquement, le Forestier.

Car les Dieux sont des puissances personnifiées de la Surnature. Ils sont, comme nous l’avons dit plus haut, les opérateurs symboliques qui nous permettent d’articuler le Réel. A ce titre, ils ne sont réellement et pleinement Dieux que lorsqu’ils rencontrent les rayons de cette réplique intérieure du soleil intelligible qu’est notre conscience. Et c’est cette rencontre providentielle qui fait ce qu’on a coutume d’appeler la religion. Celle-ci n’est autre que la réaction hypostatique qui se produit au contact de la puissance macrocosmique et de l’individu microcosmique. Cette réaction, endothermique dans l’ordre visible, est exothermique dans l’ordre invisible. Elle est la négation théanthropique de l’entropie.

Chacun des peuples antiques ayant évolué dans un ou plusieurs environnements naturels successifs ont logiquement exprimé cette réalité divine unique à travers les symboles placés à leur portée, élaborant des mythes et des figures divines différents. Étant eux-mêmes des rayons de lumière voyante, et ne connaissant aucune jalousie en tant qu’ils sont éternels et parfaits, les Dieux ont aidé ces peuples, avec patience et sollicitude, à connaître leurs noms, leurs attributs et leurs aventures éternelles, afin de leur donner accès au cœur indicible de la Réalité, dans la mesure de leurs possibilités, car ils sont aussi les Voies qui mènent à ce noyau secret. Les Dieux et Déesses ont eu à cœur de se révéler aux mortels dans leurs propres langues. 

Aussi, veillons à rester attentifs à ce que nous disent les mythes sur leur inconnaissabilité : il fut un temps, par exemple, ou les mortels ne connaissaient pas les noms des Dieux, et où ils les invoquaient indistinctement. Ce furent les Pélasges d’antan, qui, dit-on, reçurent d’Égypte les proségories, ces appellations divines, ainsi que les méthodes pour établir des relations durables et profitables avec eux. 

De même, n’oublions pas qu’Homère, à plusieurs reprises, mentionne la langue des Dieux : il nous rappelle que ceux-ci appellent les choses, et s’appellent eux-mêmes, avec des noms différents de ceux dont usent les mortels pour désigner l’univers. Rappelons-nous, enfin, qu’un Dieu comme Poséidon, le Grand Propriétaire de toute Étendue, n’a pas toujours été un Dieu de la Mer, ce qui témoigne d’une époque où les ancêtres des Achéens erraient dans leur steppe originelle. Tout cela veut dire que les Dieux ont des compétences universelles, qu’on peut découvrir lorsque changent les circonstances de leurs cultes.

Ainsi, nous plaidons pour des Paganismes résolument pluriels, panthéonistiques, et pratiquant un syncrétisme à la fois systématique et raisonné.

Pluriels, les Paganismes le sont déjà, et l’ont toujours été. C’est ce qui fait précisément qu’ils sont Païens. Panthéonistique, parce que c’est la condition sine qua non d’un Polythéisme authentique, qui ne soit pas un pléonasme métaphysique et une religion fictionnelle. Enfin, syncrétique parce que, si aucun Dieu ne peut être compris isolément, aucun panthéon ni aucun Païen ne peut non plus l’être, sous peine d’être une abstraction morte. 

De plus, à une époque comme la nôtre, où l’information circule quasi instantanément d’un bout à l’autre du globe, les différentes traditions Païennes ne peuvent plus se contenter d’une juxtaposition pure et simple, ce qui serait théologiquement insoutenable. Les différents panthéons, tels des roues dentées, sont appeler à agir en synergie, dans une cohabitation organique loin du mélange et de la confusion. Dans cet universalisme Dionysiaque, les Dieux sont appelés à s’éclairer mutuellement.

En quoi consisterait un tel syncrétisme ?

Il se baserait sur un panthéon traditionnel de référence, pour se rattacher à une culture de base. Il faut que l’arbre pousse dans une terre donnée : toute plante ne s’épanouit pas n’importe où. Il semblerait cependant aller de soi que ce « terreau » soit avant tout culturel et linguistique : qu’on ne compte pas sur nous pour cautionner une superstition du sang car, même si les Dieux ont aussi un corps, ils ne sauraient être limités à des réalités biologiques, l’essentiel de leur être se situant au-delà même des notions de temps et d’espace. Ainsi, un Païen ayant des caractéristiques physiques originaires d’extrême orient, par exemple, peut fort bien adorer Thor, s’il a pour ainsi dire greffé son âme sur le panthéon nordique, et s’il a adopté la weltanschauung germanique.

Une fois ce panthéon adopté, avec le corpus mythique qui correspond et la syntaxe rituelle qui en exprime les potentialités, rien n’empêche de l’enrichir avec des apports extérieurs, à condition que ceux-ci soient pertinents et intégrés selon des règles précises. J’appelle pertinent un apport justifié par des circonstances précises. Les Romains, par exemple, firent appel à la Mère des Dieux sur un avis des Livres Sibyllins à un moment critique de leur histoire, durant les Guerres Puniques.

La pertinence d’une intégration divine dans le Panthéon peut aussi tenir à une question de fonctionnalité manquante ou sous représentée dans une tradition. Ainsi, les Romains intégrèrent-ils la déesse Epona, jugeant que celle-ci occupait une place légitime, une sorte de « niche théologique » vacante de leur panthéon. Il est vrai qu’ils ont toujours eu un souci de la précision maximale en matière rituelle : chaque aspect de la vie, chaque fonction de l’existence doit être pris en charge par une puissance divine, un indigitamentum.

C’est d’ailleurs ce souci de précision dans le rite qui a conduit les Romains à enrichir continuellement leur panthéon en suivant des règles rituelles extrêmement strictes. Ainsi, un rite spécialisé permettait de pratiquer l’importation numinale pour le plus grand profit du Peuple, aux dépends, bien souvent, de ses adversaires. C’est le rituel de l’évocatio, qui suppose une grande connaissance préalable des caractéristiques de la divinité dont le transfert est souhaité, connaissance résultant d’un véritable espionnage spirituel.

De plus, lorsqu’une divinité nouvelle était ainsi acclimatée dans le jardin des essences divines des Sept Collines, elle était toujours greffée sur le corps symbolique et mythique de la romanité. Ainsi, l’avènement de la Pierre Noire de Pessinonte, bétyle de la Mère des Dieux, fut-il l’occasion d’un miracle illustrant les vertus féminines des matrones de cette époque. Claudia Quinta, accusée à tort d’adultère, prouva son innocence en désensablant par ses seules forces le lourd navire qui amenait la Déesse à Rome après l’avoir dûment appelée à son aide. Finalement, cette légende hautement romaine servit pour ainsi dire d’écrin à l’inclusion dans le diadème de la Ville de cette gemme divine exotique venant rehausser son éclat impérial.

Ce qu’on fait nos Ancêtres, et qui, de l’aveu même de ceux-ci, assura le rayonnement incomparable de leur civilisation, au nom de quoi refuserions nous de le faire ? Pourquoi refuserions-nous ce qu’ils ont eux-mêmes pratiqué, en général, avec bonheur ? Bien sûr, il convient de le faire avec discernement. Pratiquer l’interpretatio ne signifie pas juxtaposer des images, encore moins poser des équivalences arbitraires ou superficielles. Il s’agit de se servir du jeu des épiclèses, de poser des ponts entre les mythèmes, de comparer des symboles pouvant avoir des fonctions complémentaires, bref, de pratiquer avec l’amour, la sollicitude et la compétence du jardinier ce que nous appellerions volontiers l’écologie divine, seul garant à notre avis d’un Paganisme durable.
 
Ainsi, une même niche écologique, dans des milieux éloignés mais semblables, peut être occupée par des espèces animales ou végétales très diverses, mais ayant acquis des mœurs et une anatomie très semblable. Par exemple, pour aller chercher au cœur des fleurs leur précieux nectar, l’Ancien et le Nouveau monde connaissent deux catégories animales fort différentes. Dans l’Ancien monde, ce sont les sphynx qui s’en chargent, donc des insectes lépidoptères, alors que dans le nouveau monde où ce genre de papillons est absent, la même fonction est assurée par des vertébrés, les colibris. Mais quoique leur biologie soit fort éloignée, la morphologie et les mœurs de ces deux formes de vie animale convergent de manière frappante.

Eh bien, les Dieux étant comparables, s’il est permis de parler ainsi sans impiété, à une faune céleste, on peut logiquement discerner dans le monde intelligible des sortes de niches théologiques qui structure ces biocénoses divines que sont les panthéons. Une des plus évidentes de ces niches est par exemple la maîtrise de la foudre, du tonnerre et du temps météorologique. Or, si les Dieux de l’orage sont très divers d’une tradition à l’autre, beaucoup de caractéristiques les rassemblent, à tel point qu’on peut facilement établir des équivalences entre eux, sans pour autant les réduire à une sorte d’hybride qui n’aurait pas plus de sens ici qu’un mot comme cashauson pourrait signifier le lieu d’habitation.

En fait, c’est la foudre même, et sa cible terrestre privilégiée, le grand arbre, qui vont nous aider à trouver la solution. Le monde divin est en effet organisé de manière arborescente et, plus exactement, structuré comme un arbre inversé. Plongeant ses racines indénombrables dans les indicibles ténèbres de l’Un, l’Arbre divin s’individualise progressivement en une multitude de branches qui, plus on s’éloigne des racines, plus elles se ramifient en fines ramures pour venir irriguer chaque parcelle de vie de notre monde.

Il nous semble donc raisonnable de penser qu’il y a, dans l’Un, une Idée de la Verticalité, un Axe archétypal qui serait l’expression fulgurante de toute souveraineté. Cette foudre archétype, paradigme de la suprématie, s’illustrerait et se spécifierait progressivement dans la figure paternelle du Dieu des Rois et du Roi des Dieux. Elle s’appellerait alors Zeus chez les Grecs, Jupiter chez les Romains, Thorr ou Donar chez les Germains, Taranis chez les Celtes, Perun chez les Slaves, Teshub au Proche-Orient et Shango parmi les Yoruba, etc…

Parmi ces peuples, nombreux sont ceux que les Romains n’ont pas connu. Lorsque c’était le cas, ils procédaient (et les Grecs avant eux) à une interprétation, c’est-à-dire à une traduction, qui a conduit à des formes très attestées comme Jupiter Taranis ou Zeus Belos (Baal), par exemple…Prolonger la romanité en parlant de Jupiter Perunus, ou Perkunas, qui certes n’ont pas existé durant l’Antiquité, et pourquoi pas même, de Zeus Xangos, ne nous semble donc pas plus stupide que d’associer dans une même prière Sekhmet, la Morrigan et Hécate…Rien n’empêcherait non plus de parler d’un Zeus Tlalox des Atlantes : nos Ancêtres, sans doute, n’en auraient pas été autrement choqués.

Mais il s’agira de maintenir, tout en les plaçant dans une voisinage divin incontestable, une certaine autonomie de personnalité pour chacune des divinités envisagées. Là gît toute l’habileté de l’art sacerdotal des proségories, qui consiste, à travers les particularités locales, à donner accès à l’universel et au total. Un Zeus Tlalox, par exemple, n’aurait pas les mêmes caractéristiques que son homologue Grec, mais la personnalité de ce dernier pourrait être éclairée par des aspects nouveaux. Ainsi, à haute époque, en Grèce, en Gypaète ou ailleurs, de telles coalescences divines n’ont cessé de se produire, grâce à l'art consommé des sacerdotes égyptien dans le constitution de faisceaux divins...  

On a souvent reproché à ces pratiques un caractère impérialiste, en y voyant des politiques intentionnelles de domination spirituelle. Il n’est pas question pour nous, bien sûr, de le nier. Mais on omet, dans cette accusation, le caractère essentiellement neutre du fait religieux, comme, d’ailleurs, du fait linguistique : la religion est ce qu’on en fait, ni plus, ni moins. Ainsi, ce qui pouvait jadis être une arme de domination peut fort bien devenir aujourd’hui un outil de fraternité, en se faisant le vecteur d’une universalisme respectueux des identités. Par exemple, rien n’interdit d’imaginer une interprétation à double sens, où un Shango Dias, sorte de Shango Blanc, porterait en Afrique ses mythes, quelque peu différents de ceux de son homologue « éthiopien », alors que notre Zeus Xangos apporterait en Hellade quelques éléments mythiques étrangers au pays où pousse l’olivier, le tout sous le signe commun de la Double Hache…
 
Les Anciens étaient d’ailleurs passés maîtres dans de telles adaptations mythiques. A partir du moment où l’on sait, par exemple, que Zeus avait coutume de se rendre chez les Éthiopiens, « les plus justes des hommes », nous dit Homère, pour prendre part à leurs sacrifices, pourquoi ne pas imaginer que ces derniers aient reçu le Maître de l’Olympe avec les honneurs, sous le nom de Shango, Roi d’Ifé ? Bien sûr, ces vérités-là ne sont pas historiques ; mieux : elles sont mythiques, elles sont symboliques. Pour aborder ces réalités dépassant la raison, une certaine souplesse d'esprit est nécessaire. Elles demandent, pour être appréhendées, non pas d’imiter les Anciens avec la servilité d’aujourd’hui, mais de se glisser dans leur mentalité avec la liberté d’antan.

Si être Païen, comme on le répète si souvent, consiste à rendre aux Dieux du terroir les honneurs qui leur sont dûs, alors il faut pouvoir le faire avec foi et sincérité. Et cela consiste assurément à pouvoir rendre un culte à tous les Dieux de tous les terroirs, mais avec le respect et le discernement, qu’ils méritent, c’est-à-dire en suivant les règles qu’ils ont eux-mêmes institués dans chacun des terroirs dont ils sont issus, ce qui implique une synthèse exigeante. 

Et ce n'est pas autre chose, finalement, que respecter l’essence même des Dieux, car c’est refuser d’en faire des êtres limités à l’image des individus que nous sommes, en confessant leur allélousie. C’est se rappeler qu’ils ne se présentent à nous sous une forme personnelle ou anthropomorphe que par égard pour nous, car leur être dépasse de loin les limitations spatio-temporelles, et la divinité, en soi, n'est pas personnelle ; par conséquent, le syncrétisme panthéonistique que nous préconisons n’est rien d’autre que l’art de nous rappeler qui nous sommes et qui sont les Dieux, et c’est là, en définitive, la  piété même, celle du Gnôthi Seauton.





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