L’Abécédaire du Petit Père Païen
S comme Syncrétisme,
éclectisme, panthéon.
Lorsque les Néopaïens n’ont pas d’autres motifs de
chamailleries (ce qui est rare), il leur arrive de jouer au Monothéiste (sans
choisir le plus éclairé, loin s’en faut), en se faisant les défenseurs zélés de la pureté d’une
identité divine, pourfendant avec une rage missionnaire tout mélange
cultuel ou toute assimilation de leur divinité d’élection avec une autre.
Ainsi, à l’instar des Témoins de Jéhovah ou des Salafistes, certains Païens n’hésitent pas à refuser
toute communication culturelle avec d’autres systèmes polythéistes, arguant
d’une irréductibilité totale de leur Tradition, et mettant en avant la
singularité absolue de leur Déité et son incompatibilité avec toute autre
figure divine, parlant à son égard d’une « individualité » sans
équivalent possible.
Et nous ne sommes pas
loin de leur donner raison, considérant que la pluralité culturelle et cultuelle de l’Humanité n’est pas le résultat
d’une chute et ne provient pas d’un regrettable accident destiné à être corrigé
à plus ou moins brève échéance historique, mais est au contraire l’expression
providentielle d’un pluralisme inhérent au Divin, dont l’essence, pour
unique qu’elle soit, ne peut être perceptible et compréhensible à l’âme qu’au
travers de la multiplicité et du chatoiement habitant toute existence.
Mais ce pluralisme qu’affichent nos zélotes Païens cache
bien souvent les germes d’une dangereuse
dérive, dont il nous semble que le Monothéisme exclusif est issu : celle
de la monolâtrie. Cette notion se distingue du Monothéisme, en ce sens
qu’elle suppose l’attachement exclusif à une figure divine au détriment des
autres, sans pour autant nier ces dernières. Cette dérive théologique fut
apparemment très active dans les
civilisations de l’Orient Ancien, sans pour autant dégénérer en
Monothéisme, sauf dans le cas
particulier d’Israël.
Si l’on en croit, en effet, les historiens de la Mésopotamie
Ancienne, et notamment Jean Bottéro,
les peuples de l’Orient Ancien vouaient couramment des cultes quasi exclusifs à
des divinités « nationales »,
garantes de leurs succès militaires et de leur épopée nationale, comme Marduk pour Babylone ou Assur des Assyriens, Dieu éponyme de
ces derniers. Ces archontes nouaient des liens exclusifs avec un peuple dont
ils étaient le Dieu ancestral, et affrontaient leurs adversaires et collègues
tels des généraux en chef ; c’est ainsi qu’on put voir les
« vaincus », comme Marduk, par exemple, être « capturés »,
et même partir en déportation à l’instar des otages princiers.
De telles divinités ont sans doute servi de modèle à la conception vétérotestamentaire du Dieu
d’Israël, « Seigneur des Armées », qui, au départ, devait être
objet d’une telle monolâtrie, avant de devenir, au-delà du destinataire
exclusif des dévotions de son peuple, la seule Divinité concevable dans
l’univers, à l’exclusion de toute autre.
C’est probablement par ce processus d’exclusivité théologique que le Monothéisme abrahamique
est entré sur la scène de l’Histoire, et
non, comme on le dit souvent, par le processus inverse d’inclusivité et de
coalescence divine de type hénothéiste, tel qu’on peut l’observer par
exemple dans les religions Isiaques, Dionysiaques, ou encore dans l’Hindouisme.
Ce dernier processus a plutôt conduit à une forme de Monisme, c’est-à-dire de
« Monothéisme » inclusif respectueux de la pluralité divine, malgré les procédure
syncrétiques qui peuvent agir au sein de ces Panthéons, ou plutôt grâce à
elles.
C’est pourquoi nous sommes perplexes lorsque nous voyons des
Païens affirmer à grand bruit qu’ils « croient à Thorr, mais pas à
Jupiter », et protester dans le même temps, la main sur le cœur,
de leur respect des Traditions qui ne sont pas les leurs. Car, s’il est un
article de foi dans le Paganisme, c’est bien celui-ci : tous les Dieux sont « vrais », ou bien aucun ne l’est.
Cela n’implique en aucun cas de leur rendre un culte exhaustif (qui le
pourrait !) ni de les connaître intégralement, mais au moins d’en
reconnaître la validité, et à travers elle le
caractère authentiquement religieux de chaque peuple à travers ses spécificités
cultuelles.
Et c’est à peu près
ce que faisaient les Anciens, même s’ils ne se privaient pas de critiquer
certaines de ces spécificités : les Grecs, par exemple, avaient du mal à
digérer l’apparence thériomorphe des Dieux égyptiens, dont le sens leur
échappait, et les Romains réprouvaient les sacrifices humains supposés courants
chez certains peuples « barbares », bien qu’ils l’aient eux-mêmes
pratiqués en des temps pas si éloignés.
Car il en est des
panthéons un peu comme des langues : qui oserait, sous peine de faire
montre de la plus risible bêtise, considérer que le mot « maison »
est plus adapté que le mot « casa » pour désigner le lieu où l’on
habite ? Une telle vision des choses est marquée au coin de la plus
confondante des naïvetés. Celle-ci fut en partie, il est vrai, le fait des
anciens peuples, en particulier des Grecs et des Romains, lorsqu’ils
qualifiaient les autres nations de « Barbares », à cause du fait
qu’ils n’en comprenaient pas l’idiome. Mais, outre que cette façon de penser
fut quasi universelle à une certaine époque, elle fut bien vite compensée dans
le monde méditerranéen par un grand intérêt pour les mœurs, langues et coutumes
religieuses des autres régions du monde.
Ainsi, les Grecs pratiquèrent-ils très tôt l’interpraetatio
graeca, notamment à l’égard des Dieux égyptiens : il s’agissait
pour eux de chercher, dans le panthéon d’un peuple non Grec, des équivalents
approximatifs de leurs propres figures divines. Les Romains firent de même avec tous les peuples avec lesquels ils
entrèrent en contact. Les Égyptiens
l’avaient déjà fait bien avant eux, pratiquant un syncrétisme actif à la fois interne et externe à leur panthéon de
référence. En effet, ils y ont intégré de façon précoce des divinités
d’origine étrangère, notamment proche-orientale ; de même, leur propre système panthéonistique s’est formé par des coalescence de
différentes figures divines issues des rives du Nil, dont on peut dire qu’elles
pratiquèrent allégrement les prises de participation dans leurs mythes
respectifs… Sans parler du système cultuel mésopotamien qui, dès le départ,
s’appuya sur un syncrétisme duel
suméro-akkadien, dont la figure d’Inanna-Ishtar
est une des plus marquantes, promise d’ailleurs à une grande fortune
cosmopolite à travers toutes les Astarté
de la méditerranée…
En vérité, aucune
culture ne fut jamais isolée des autres, conservée à l’abri de toute
influence dans une sorte de pureté archétypale, tant linguistique que
religieuse. Les Dieux et Déesses, comme
le montre l’excellent ouvrage de Corinne Bonnet et Laurent Bricault ( Quand
les Dieux voyagent, cultes et mythes en mouvement dans l’espace méditerranéen
antique Labor et Fides 2016), ont
toujours voyagé, avec, certes, plus ou moins de bonheur. De même, les langues de l’humanité, quoique très
variées dans leurs systèmes et leurs moyens d’exprimer le monde, et possédant
chacune une personnalité très marquée, ont toujours emprunté les unes aux
autres du vocabulaires et des tournures de style ou de syntaxe. Ainsi, comme
tout organisme vivant, évoluent-elles en permanence, malgré, parfois, le désir infantile de certains de leurs
locuteurs de les maintenir pures.
Il en est de même des
religions, et en particulier des Paganismes. En effet, comme nous venons de
le voir, ces derniers ont un caractère essentiellement
syncrétique, par construction même. On peut dire en revanche qu’une des caractéristiques fondamentales du
Monothéisme est précisément l’obsession de la pureté, cette dernière étant
perçue, à tort nous semble-t-il, comme l’expression et le garant de la
transcendance du Dieu unique dont ils se disent les sectateurs. Ainsi, nous
avons d’un côté Dame Isis qui, avant même de sortir de son Égypte natale, s’attache
progressivement la personnalité de toutes les Déesses qu’elle rencontre, et de
l’autre côté l’intraitable Yahvé qui refuse d’être assimilé à Chronos-Saturne.
En effet, dès l’Ancien
Testament, le rapport Monothéiste à la divinité est caractérisé par un double mouvement négatif : d’une
part, l’affirmation que la Divinité
invoquée ne ressemble à rien d’autre, et l’interdiction de toute association avec quelque autre essence que ce
soit (l’ « idolâtrie »
étant perçue comme le mal absolu en matière de religion), d’autre part la mise
en avant d’un caractère radicalement
singulier et individuel (Yahvé commence les « Dix paroles » par
« Moi-Je (suis)» (Anokhi),
en reliant ce pronom à un événement historique singulier et non reproductible
« le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Égypte »). Le
syncrétisme, pratiqué abondamment dans l’Ancien Israël, y compris par les
élites politiques, fut considéré par les prophètes réformateurs à l’origine du
Judaïsme comme un fléau majeur, à telle enseigne qu’on pourrait presque définir le Judaïsme comme une forme
puritaine et anti-syncrétique de la religion cananéenne dont elle est
probablement issue.
Ces traits caractéristiques du premier Monothéisme furent
transmis avec plus ou moins de bonheur à ses héritiers : en Islam, par
exemple, les « associateurs »
(Ash-shirk, cf. Coran 5 :7) représentent le mal radical et sont à ce titre
voué aux pires supplices, en ce monde comme dans l’autre. Cela n’a pas empêché
l’Islam de connaître d’inévitables
dérives syncrétiques au gré de son expansion. Mais celles-ci furent
régulièrement combattues par les courants
puritains et fondamentalistes dont l’apparition récurrente marque depuis
ses origines la religion de Mohammed. Ainsi, les Wahhabites et leurs héritiers
Salafistes furent, on le sait peu, les principaux destructeurs de lieux saints…Musulmans !
Le Christianisme ne
fut pas en reste, malgré les apparences. On pourrait croire en effet qu’il
fut dès sa formation le résultat d’un syncrétisme de grande envergure entre un
judaïsme hellénisé, largement répandu dans le monde méditerranéen, et des
Paganisme en cours de coalescence moniste. Ce n’est à notre avis qu’une
apparence : dès les débuts de cette religion, en effet, des séparations
furent nettement établies entre les éléments licites, compatibles avec les Écritures,
et les autres. Les Eglises primitives n’ont eu de cesse, dès les premiers
siècles, que d’éradiquer les démarches
syncrétiques qui pouvaient se faire jour ici et là ; et, comme pour
l’Islam, l’Histoire du Christianisme est
marquée par la récurrence de courant réformateurs motivés par un retour plus ou
moins radical à la « pureté » des origines.
Et si le Catholicisme
a pu faire illusion, allant parfois jusqu’à séduire certains Païens, parce
qu’il fut marqué au Moyen-Âge par des
formes plus ou moins syncrétiques encore visibles aujourd’hui dans le folklore,
il n’est pas en reste en matière de répression des formes hybrides, comme le
montre dans les années 40 la très violente campagne
de « déchoukaj » menée
par l’Église en Haïti pour éradiquer le Vaudou, qualifié d’« horrible
mélange ».
Ainsi, s’attacher
exclusivement à un panthéon « national » au détriment des autres
systèmes polythéistes, et refuser par principe toute relation possible avec eux
sous prétexte d’éviter un mélange délétère relève donc bien, à notre sens, du
complexe du peuple élu. Poussé jusqu’à ses ultimes conséquences, cet
exclusivisme peut conduire aux pires violences, et la figure divine qui
servirait de prétexte à ces violences, symboliques ou réelles, importe
peu : elle peut indifféremment s’appeler Yahvé, Wotan, Allah ou Jupiter.
Mais le contact et
l’échange entre cultures sans retenue ni discernement ne doit pas non plus
conduire à une confusion totale de celles-ci. Si l’on poursuit notre
comparaison avec les systèmes linguistiques, il ne s’agit pas d’aboutir à un charabia universel qui noierait toutes les
langues dans une soupe sans structure ni saveur. Chaque langue, outre un
stock de vocabulaire cohérent caractérisé souvent par une origine dominante,
porteuse d’une certaine vision du monde, est également structurée par une
syntaxe bien définie, ne permettant pas n’importe quelle manipulation.
Or, les Dieux sont
pour nous les opérateurs symboliques qui permettant d’articuler le monde, non dans un but de communication, comme
dans le cas d’une langue, mais dans un but de communion. Ainsi, chaque
système panthéonistique, né dans une culture donnée, est-il porteur d’une
vision du monde cohérente, se suffisant à elle-même, du moins dans la mesure où
cela est possible au niveau sensible et corporel.
Comme nous l’avons mainte fois souligné (cf. P comme Piété Païenne et Polythéiste),
les Divinités d’un Panthéon donné ne
sont pas interchangeables, et ne sauraient constituer des électrons libres
qu’on pourrait impunément détacher et mélanger avec n’importe quelles autres
divinités. Dans chaque panthéon, en effet, les divinités forment un théosystème
dans lequel elles sont en systase : seule, l’invocation rituelle
de leurs noms et épiclèse dans le cadre du culte rend leur individualité patente,
alors que celle-ci reste latente pour nous lorsqu’on régresse à l’état profane.
Dit autrement, au moment où l’on oriente
son intention vers un Dieu, l’on se tourne en fait vers tous les autres, mais
sous le mode relationnel particulier auquel ce Dieu préside.
Poursuivant notre comparaison, si chaque individu, en effet,
se constituait sa langue propre en « cueillant » dans chaque idiome
de l’humanité des éléments de vocabulaire et de syntaxe, personne, à terme, ne comprendrait plus personne : la
confusion des idiomes aboutit à l’idiotie,
c’est-à-dire à l’enfermement universel de chacun dans sa confusion
particulière. Il ne s’agit pas pour
autant de nier le caractère à la fois collectif et profondément personnel du
langage, mais simplement de reconnaître qu’il ne peut assurer sa fonction qu’en réunissant les locuteurs dans une
plus grande intercompréhension possible, afin de tisser une société, ce qui est
une de ces fonctions principales.
Or, si l’on reconnaît la validité du fait religieux, on ne
peut, à notre sens, qu’approuver le caractère nécessairement panthéonistique
des Paganismes, pour lequel nous plaidons. Soit, en effet, on ne reconnaît
à la religion aucune autre valeur que celle d’une recette de développement
« personnel » (il conviendrait mieux de parler alors de développement
individuel), mais alors cela nous
semble relever de la pure illusion entretenue par la modernité mercantile pour
maintenir chacun dans la sujétion de l’égo ; soit, au contraire, il faut que cette religion effectue pleinement
sa mission de communion, c’est-à-dire d’élaboration du cristal social en vue de
l’émancipation du sujet et, à terme, de l’épanouissement total de la personne.
Il est donc nécessaire, dans cette perspective, d’adopter en matière religieuse un principe
de syncrétisme, plutôt qu’un principe
d’éclectisme. Mais, arrivé à ce
point de notre méditation, les choses se compliquent singulièrement. Car, s’il
va de soi que votre serviteur s’est longuement documenté sur le sens de ces
deux mots afin de ne pas en user à tort et à travers, car « mal nommer les choses », disait
Camus, « c’est ajouter au malheur du
monde », la première conclusion de notre enquête de vocabulaire est
qu’on pourrait pratiquer avec profit un
syncrétisme des définitions du mot syncrétisme…Sans parler du mot éclectisme.
Tâchons donc d’y voir
plus clair.
Le syncrétisme, d’après la plupart des
dictionnaires, provient d’un mot grec étrange, un hapax (c’est -à-dire un mot à occurrence unique) de Plutarque, signifiant « l’union des Crétois ». Le
philosophe de Chéronée désignait par ce mot (en fait un verbe, sugkrétizein) une coalition militaire réalisée par les Crétois contre un ennemi commun
menaçant d’envahir l’île, alors qu’ils étaient d’habitude un parfait exemple de
division.
Le mot ne réapparaît ensuite qu’au XVIème siècle sous la plume d’Érasme,
dans ses Adages, où il évoque
la nécessité pour les sages de serrer
les rangs contre les barbares ennemis des lettres, c’est-à-dire les
rigoristes religieux qui sévissaient à son époque.
Ce terme savant connaîtra une grande fortune, mais sa
connotation, positive chez Érasme, va ensuite évoluer vers une connotation franchement négative. Il désignera
d’abord, dans le courant du XVIème siècle, les tentatives de conciliations théologiques entre les différentes Églises
protestantes, ainsi que les efforts des humanistes, comme par exemple Pic de la Mirandole, pour effectuer une
synthèse des différents systèmes
philosophiques de l’Antiquité (notamment Platon et Aristote), ainsi que de celles-ci avec le Christianisme.
Au XVIIème siècle, le
mot devient nettement péjoratif, notamment après la « Querelle Syncrétiste » à laquelle
furent mêlés, notamment, Leibniz et Bossuet. Le syncrétisme en vient alors
à désigner des compromis et des
synthèses boiteuses : il est nettement discrédité. Dans l’Encyclopédie, Diderot flétrit le syncrétisme aux dépend de l’éclectisme, qu’il loue.
C’est par l’Histoire
des Religions que le syncrétisme sera finalement réhabilité au XIXème siècle, avec le grand chercheur Belge Franz Cumont, notamment. L’usage du
terme s’accompagne alors de nombreuses métaphores
chimiques : « mélange, alliage, fusion, composé ». Il
désigne certains processus d’interpénétrations
culturelles, et a tendance à s’opposer
à la notion de classicisme, qui renvoie à une idée de pureté. Pour Raffaele Petazzoni, le syncrétisme est
un phénomène universel accompagnant la
naissance et l’évolution de toute religion. La Religion Romaine, comme toutes les religions antiques, fut
syncrétiste dès ses débuts, en vertu du synécisme dont Rome, comme Athènes,
furent la résultante. Les Anciens eux-mêmes ont clairement rendu comptes de ses
phénomènes.
Cependant, « syncrétisme » reste, dans les
dictionnaires, fortement ambigu :
il désigne d’abord une synthèse de
différents éléments culturels ou doctrinaux, une tentative de conciliation entre plusieurs systèmes, donnant lieu à
une combinaison plus ou moins
harmonieuse, et pouvant aboutir à un système nouveau ou à une confusion. En
Psychologie, le terme désigne un
stade infantile de la perception du monde, ou tous les éléments de
l’environnement du jeune enfant sont encore appréhendés dans une unité globale et fusionnelle,
antérieure à une connaissance analytique
et rationnelle.
On utilise aujourd’hui ce mot essentiellement pour désigner des phénomènes religieux :
d’abord les réinterprétations et les
recompositions qui eurent lieu durant l’Antiquité
Tardive en méditerranée, ensuite, et surtout, pour rendre compte de la
formation d’une nouvelle catégorie
religieuse, celle des religions Afro-Américaines, dans le creuset de
l’esclavage. C’est le cas par exemple du Vaudou
haïtien, du Candomblé brésilien, de
la Santeria cubaines, ou encore du Caodaïsme vietnamien ou de la plupart
des croyances locales indonésiennes.
Mais quelle est la
différence entre syncrétisme et éclectisme ? Le dictionnaire
Robert, suivant en cela Diderot et Victor Cousin, valorise nettement le second au détriment du premier : il
parle à son propos de « mélange » ou de « combinaison peu
cohérente ».
L’éclectisme a d’abord désigné une
école philosophique née dans l’Alexandrie
antique, celle de Potamon, qui
recommandait aux chercheurs de sagesse de « choisir » (eklegein)
ce qu’il y a de mieux dans chaque système philosophique. La naissance du Néoplatonisme, par le truchement d’Ammonius Saccas, maître de Plotin, lui doit beaucoup.
Quant à Diderot, il lui trouve toutes les vertus car,
selon lui, il s’oppose au dogmatisme,
c’est-à-dire au sectarisme
philosophique ou religieux. Au XIXème siècle, l’éclectisme connait un âge d’or
en servant à désigner une école
philosophique, celle de Victor
Cousin qui propose d’emprunter à toute doctrine ce qu’elle a de vrai, et
d’écarter ce qu’elle a de faux.
En matière de culture, enfin, l’attitude éclectique (eklektikos
signifiant ici « sélectif ») est nettement valorisée : elle suppose une grande ouverture d’esprit.
Pourtant, il lui arrive aussi d’être considérée comme une marque de légèreté et d’inconséquence : elle révèlerait un
refus du choix, un manque d’engagement, le gout de la juxtaposition aboutissant
à la parathèse.
Pour Jacques Maritain, écrivain et
penseur catholique du début du XXème siècle, il s’oppose à l’universalisme véritable.
Il est, comme on le voit, difficile de se « faire une
religion » sur ces deux notions.
Dans le petit monde des Païens
contemporains, deux visions apparemment
inconciliables semblent s’affronter : d’une part, les Païens « éclectiques », plus ou moins proches de la
Wicca du même nom, promue dans la francophonie à travers l’œuvre de Scott Cunningham, d’autre part, celle
des Païens
« reconstructionnistes », c’est-à-dire attachés à une Tradition
antique et défenseurs plus ou moins farouches d’une identité qu’ils rêvent pure.
Les premiers sont vus
par les seconds comme d’infâmes
bricoleurs, faisant en amateurs
des religions antiques ; on les dépeint volontiers comme des traîtres,
des fossoyeurs de tradition, et tous les noms d’oiseaux de la radicalité
politique ne parviennent pas à épuiser la détestation dont ils sont l’objet.
Essoufflés, à cours d’argument, leurs détracteurs finissent par les qualifier
de « faux Païens ». Or, pour nous, il va de soi qu’il n’y a pas plus
de « faux Païens » que de « faux Dieux ».
A l’inverse, les
seconds passent volontiers, au mieux pour des sectaires psychorigides, au pire
pour des nostalgique du Troisième Reich. La Tradition dont ils se réclament
est considérée a priori comme
suspecte, et suspecte également la sincérité de leur foi et de leur démarche
spirituelle. Quand ils ne sont pas accusés d’instrumentaliser leur religion à des
fins politiques, on leur reproche de n’être que des saltimbanques de fêtes
médiévales ou des rôlistes en mal d’émotions fortes.
Or, si cette vision à
la fois dualiste et hautement caricaturale du monde Néopaïen francophone ne
manque pas d’une certaine justesse, elle est malheureusement largement véhiculée par l’image qu’en
donnent les rares médias qui s’y intéressent. Pire, certains chercheurs se complaisent avec une certaine paresse dans ces
représentations simplistes et légèrement datées.
Pour tenter de sortir de cette impasse dans laquelle Païens
et Païennes semblent être coincés, non sans une certaine complaisance pour
certains, nous proposons de faire
l’éloge du syncrétisme, comme étant le principe ecclésiologique propre aux
spiritualités non monothéistes basée sur une théologie panthéiste.
Qu’est-ce à dire ?
D’abord, en tant que
panthéistes (ou panenthéistes), nous devons commencer à reconnaître que nous ne pouvons renoncer au principe eu
Panthéon. Comme nous l’avons écrit ailleurs (P comme Piété…), le Polythéisme n’est pas un Monothéisme à
répétition, et les Dieux du premier sont d’une espèce radicalement différente
du Dieu du second. Il s’ensuit que l’on ne peut, sous peine de ne faire que
collectionner des nains de jardins, collectionner des entités divines
hétéroclites sans liens symboliques ou mythique entre elles.
Cette attitude
accumulative est purement quantitativiste, et, en tant qu’elle est centrée sur
l’arbitraire du choix individuel, constitue l’inverse d’une véritable
spiritualité. En effet, la parathèse à laquelle elle conduit
disperse l’âme dans l’anecdotique et l’insignifiance toujours répétée, plutôt
qu’elle ne la conduit dans la voie d’une épopée personnelle (d’une légende personnelle, dirait Paulo
Coelho), poussant l’individu vers son recueillement, puis vers son époptie
auto-transfiguratrice, c’est-à-dire vers ce « Devenir Dieu » qui est le but commun de toutes les voies
spirituelles basées sur le Panthéisme.
Pas d’images Panini des Dieux, donc, mais l’image panique d’un
Dieu qui n’est ni un ni plusieurs, et les deux à la fois. Or, assurément, s’il n’est pas question de se bricoler un
Panthéon de poche, il est nécessaire
de se référer à ceux des Anciens. Et ceux-ci, pour cohérents qu’ils fussent, n’en étaient pas moins souples et
fluctuants. Et de même qu’aucun locuteur d’une langue quelconque ne peut
prétendre connaître l’intégralité du vocabulaire de celle-ci, aucun de nos
Ancêtres, si cultivé fut-il, ne connut jamais les divinités qui peuplaient son
panthéon traditionnel avec exhaustivité.
Il faut, nous semble-t-il, commencer par reconnaître simultanément le caractère
traditionnel et le caractère syncrétique de nos panthéons. Cette
reconnaissance doit avoir pour nous valeur
fondatrice et valeur didactique. Elle doit nous rappeler notre dépendance à
l’égard de notre héritage, ainsi que notre humilité à l’égard des Dieux, qui
circulent à travers toutes choses, changent de formes à loisir et aiment
parfois à tromper les mortels trop figés dans leurs certitudes.
Pour illustrer notre propos, une comparaison nous est venue
à l’esprit. Dans le système panenthéiste
qui est le nôtre, les Dieux peuvent être comparés aux rayons d’un soleil obscur, car radicalement inconnaissable, qui
serait leur source commune. Ce soleil, lui-même non révélé, révèlerait toutes
choses à travers l’émission permanente de sa lumière, elle-même mystérieusement
issue de son contraire.
Qui peut prétendre
compter les rayons d’un tel astre ? S’agira-t-il d’un halo unique, ou
au contraire d’un nombre indéfini d’axes lumineux ? Plus encore : qui
peut avoir l’audace d’individualiser chaque rayon ? Qui osera affirmer que
la lumière qui m’éclaire le matin est foncièrement différente que celle qui
m’éclaire le soir ? Ou encore que le rayon qui frappe la mer est maritime
et celui qui frappe la forêt, forestier ?
Il faut,
croyons-nous, accepter que les Dieux, en soi, n’ont pas de noms, ou plutôt
qu’ils n’ont pas forcément ceux qu’on leur donne. Il faut se résoudre à ne pas les dénombrer, à ne pas les dénoncer,
et comprendre qu’ils ne sont, dans leur essence, ni un, ni plusieurs. Il faut
avoir l’humilité de reconnaître que c’est nous, les mortels (et plus
particulièrement les plus pénétrants d’entre nous, les plus voyants) qui leur
ont attribué des noms, en fonction
des aspects de la Réalité qu’ils avaient
la générosité de nous désigner par leur lumière : ainsi le rayon qui
illumine la Mer est-il, par extension, le Maritime, et celui qui baigne l’arbre
de gloire est-il, métaphoriquement, le Forestier.
Car les Dieux sont des puissances personnifiées de la
Surnature. Ils sont, comme nous l’avons dit plus haut, les opérateurs symboliques qui nous permettent d’articuler le Réel. A
ce titre, ils ne sont réellement et pleinement Dieux que lorsqu’ils rencontrent
les rayons de cette réplique intérieure du soleil intelligible qu’est notre
conscience. Et c’est cette rencontre
providentielle qui fait ce qu’on a coutume d’appeler la religion. Celle-ci n’est
autre que la réaction hypostatique
qui se produit au contact de la puissance macrocosmique et de l’individu
microcosmique. Cette réaction, endothermique dans l’ordre visible, est
exothermique dans l’ordre invisible. Elle est la négation théanthropique de l’entropie.
Chacun des peuples antiques ayant évolué dans un ou
plusieurs environnements naturels successifs ont logiquement exprimé cette
réalité divine unique à travers les symboles
placés à leur portée, élaborant des mythes et des figures divines différents. Étant eux-mêmes des rayons de lumière
voyante, et ne connaissant aucune jalousie en tant qu’ils sont éternels et
parfaits, les Dieux ont aidé ces peuples,
avec patience et sollicitude, à connaître leurs noms, leurs attributs et leurs
aventures éternelles, afin de leur donner accès au cœur indicible de la
Réalité, dans la mesure de leurs possibilités, car ils sont aussi les Voies qui mènent à ce noyau secret. Les
Dieux et Déesses ont eu à cœur de se révéler aux mortels dans leurs propres
langues.
Aussi, veillons à rester
attentifs à ce que nous disent les mythes sur leur inconnaissabilité :
il fut un temps, par exemple, ou les mortels ne connaissaient pas les noms des
Dieux, et où ils les invoquaient indistinctement. Ce furent les Pélasges d’antan, qui, dit-on, reçurent d’Égypte les proségories, ces appellations
divines, ainsi que les méthodes pour établir des relations durables et
profitables avec eux.
De même, n’oublions pas qu’Homère, à plusieurs reprises, mentionne la langue des Dieux : il nous rappelle que ceux-ci appellent les
choses, et s’appellent eux-mêmes, avec des noms différents de ceux dont usent
les mortels pour désigner l’univers. Rappelons-nous, enfin, qu’un Dieu comme Poséidon, le Grand Propriétaire de
toute Étendue, n’a pas toujours été un Dieu de la Mer, ce qui témoigne d’une
époque où les ancêtres des Achéens erraient dans leur steppe originelle. Tout cela
veut dire que les Dieux ont des compétences universelles, qu’on peut découvrir
lorsque changent les circonstances de leurs cultes.
Ainsi, nous plaidons
pour des Paganismes résolument pluriels, panthéonistiques,
et pratiquant un syncrétisme à la fois systématique et raisonné.
Pluriels, les Paganismes le sont déjà, et l’ont toujours
été. C’est ce qui fait précisément qu’ils sont Païens. Panthéonistique, parce
que c’est la condition sine qua non
d’un Polythéisme authentique, qui ne
soit pas un pléonasme métaphysique et une religion fictionnelle. Enfin, syncrétique parce que, si aucun Dieu ne
peut être compris isolément, aucun panthéon ni aucun Païen ne peut non plus
l’être, sous peine d’être une abstraction morte.
De plus, à une époque
comme la nôtre, où l’information circule quasi instantanément d’un bout à l’autre
du globe, les différentes traditions Païennes ne peuvent plus se contenter
d’une juxtaposition pure et simple, ce qui serait théologiquement insoutenable.
Les différents panthéons, tels des roues dentées, sont appeler à agir en synergie, dans une cohabitation organique loin du mélange et de la confusion. Dans cet
universalisme Dionysiaque, les Dieux
sont appelés à s’éclairer mutuellement.
En quoi consisterait
un tel syncrétisme ?
Il se baserait sur un panthéon
traditionnel de référence, pour se rattacher à une culture de base. Il faut
que l’arbre pousse dans une terre donnée : toute plante ne s’épanouit pas
n’importe où. Il semblerait cependant aller de soi que ce « terreau »
soit avant tout culturel et linguistique :
qu’on ne compte pas sur nous pour cautionner une superstition du sang car, même
si les Dieux ont aussi un corps, ils ne sauraient
être limités à des réalités biologiques, l’essentiel de leur être se
situant au-delà même des notions de temps et d’espace. Ainsi, un Païen ayant
des caractéristiques physiques originaires d’extrême orient, par exemple, peut
fort bien adorer Thor, s’il a pour ainsi dire greffé son âme sur le panthéon
nordique, et s’il a adopté la weltanschauung
germanique.
Une fois ce panthéon adopté, avec le corpus mythique qui correspond et la syntaxe rituelle qui en exprime les potentialités, rien n’empêche
de l’enrichir avec des apports
extérieurs, à condition que ceux-ci soient pertinents et intégrés selon
des règles précises. J’appelle pertinent un apport justifié par des circonstances précises. Les Romains, par exemple, firent appel à la
Mère des Dieux sur un avis des
Livres Sibyllins à un moment critique de leur histoire, durant les Guerres Puniques.
La pertinence d’une intégration divine dans le Panthéon peut
aussi tenir à une question de fonctionnalité
manquante ou sous représentée dans une tradition. Ainsi, les Romains
intégrèrent-ils la déesse Epona,
jugeant que celle-ci occupait une place légitime, une sorte de « niche théologique » vacante de
leur panthéon. Il est vrai qu’ils ont toujours eu un souci de la précision maximale en matière rituelle : chaque
aspect de la vie, chaque fonction de l’existence doit être pris en charge par
une puissance divine, un indigitamentum.
C’est d’ailleurs ce souci de précision dans le rite qui a
conduit les Romains à enrichir
continuellement leur panthéon en suivant des règles rituelles extrêmement
strictes. Ainsi, un rite spécialisé permettait de pratiquer l’importation numinale pour le plus grand profit du Peuple, aux dépends, bien
souvent, de ses adversaires. C’est le rituel de l’évocatio, qui suppose une
grande connaissance préalable des caractéristiques de la divinité dont le
transfert est souhaité, connaissance résultant d’un véritable espionnage
spirituel.
De plus, lorsqu’une divinité nouvelle était ainsi acclimatée dans le jardin des essences
divines des Sept Collines, elle était toujours greffée sur le corps symbolique et mythique de la romanité. Ainsi,
l’avènement de la Pierre Noire de
Pessinonte, bétyle de la Mère des Dieux, fut-il l’occasion d’un miracle
illustrant les vertus féminines des matrones de cette époque. Claudia Quinta, accusée à tort
d’adultère, prouva son innocence en désensablant par ses seules forces le lourd
navire qui amenait la Déesse à Rome après l’avoir dûment appelée à son aide. Finalement, cette légende hautement romaine
servit pour ainsi dire d’écrin à l’inclusion dans le diadème de la Ville de
cette gemme divine exotique venant rehausser son éclat impérial.
Ce qu’on fait nos Ancêtres, et qui, de l’aveu même de
ceux-ci, assura le rayonnement incomparable de leur civilisation, au nom de
quoi refuserions nous de le faire ? Pourquoi refuserions-nous ce qu’ils
ont eux-mêmes pratiqué, en général, avec bonheur ? Bien sûr, il convient de le
faire avec discernement. Pratiquer l’interpretatio ne signifie pas juxtaposer des images, encore
moins poser des équivalences arbitraires ou superficielles. Il s’agit de se
servir du jeu des épiclèses, de poser des ponts entre les mythèmes, de comparer des symboles pouvant avoir des
fonctions complémentaires, bref, de pratiquer avec l’amour, la sollicitude et
la compétence du jardinier ce que nous appellerions volontiers l’écologie divine, seul garant à notre avis
d’un Paganisme durable.
Ainsi, une même niche
écologique, dans des milieux éloignés mais semblables, peut être occupée
par des espèces animales ou végétales très diverses, mais ayant acquis des
mœurs et une anatomie très semblable. Par exemple, pour aller chercher au cœur
des fleurs leur précieux nectar, l’Ancien et le Nouveau monde connaissent deux
catégories animales fort différentes. Dans l’Ancien monde, ce sont les sphynx
qui s’en chargent, donc des insectes lépidoptères, alors que dans le nouveau
monde où ce genre de papillons est absent, la même fonction est assurée par des
vertébrés, les colibris. Mais quoique leur biologie soit fort éloignée, la
morphologie et les mœurs de ces deux formes de vie animale convergent de
manière frappante.
Eh bien, les Dieux étant comparables, s’il est permis de
parler ainsi sans impiété, à une faune
céleste, on peut logiquement discerner dans le monde intelligible des sortes de niches théologiques qui structure ces
biocénoses divines que sont les panthéons. Une des plus évidentes de ces niches
est par exemple la maîtrise de la foudre,
du tonnerre et du temps météorologique. Or, si les Dieux de l’orage sont très divers d’une
tradition à l’autre, beaucoup de caractéristiques les rassemblent, à tel point
qu’on peut facilement établir des équivalences entre eux, sans pour autant les
réduire à une sorte d’hybride qui n’aurait pas plus de sens ici qu’un mot comme
cashauson pourrait signifier le lieu
d’habitation.
En fait, c’est la foudre même, et sa cible terrestre
privilégiée, le grand arbre, qui vont nous aider à trouver la solution. Le monde divin est en effet organisé de
manière arborescente et, plus exactement, structuré comme un arbre inversé. Plongeant ses racines
indénombrables dans les indicibles ténèbres de l’Un, l’Arbre divin
s’individualise progressivement en une multitude de branches qui, plus on
s’éloigne des racines, plus elles se ramifient en fines ramures pour venir
irriguer chaque parcelle de vie de notre monde.
Il nous semble donc raisonnable de penser qu’il y a, dans
l’Un, une Idée de la Verticalité, un
Axe archétypal qui serait l’expression
fulgurante de toute souveraineté. Cette foudre archétype, paradigme de la
suprématie, s’illustrerait et se spécifierait progressivement dans la figure paternelle du Dieu des Rois et du
Roi des Dieux. Elle s’appellerait alors Zeus chez les Grecs, Jupiter
chez les Romains, Thorr ou Donar chez les Germains, Taranis chez les Celtes, Perun chez les Slaves, Teshub au Proche-Orient et Shango parmi les Yoruba, etc…
Parmi ces peuples, nombreux sont ceux que les Romains n’ont
pas connu. Lorsque c’était le cas, ils procédaient (et les Grecs avant eux) à une interprétation, c’est-à-dire à une
traduction, qui a conduit à des formes très attestées comme Jupiter Taranis
ou Zeus Belos (Baal), par
exemple…Prolonger la romanité en parlant de Jupiter Perunus, ou Perkunas,
qui certes n’ont pas existé durant l’Antiquité, et pourquoi pas même, de Zeus Xangos,
ne nous semble donc pas plus stupide que d’associer
dans une même prière Sekhmet, la Morrigan et Hécate…Rien n’empêcherait non
plus de parler d’un Zeus Tlalox des Atlantes : nos
Ancêtres, sans doute, n’en auraient pas été autrement choqués.
Mais il s’agira de maintenir, tout en les plaçant dans une voisinage divin incontestable, une certaine autonomie de personnalité pour
chacune des divinités envisagées. Là gît toute l’habileté de l’art sacerdotal des proségories,
qui consiste, à travers les
particularités locales, à donner accès à l’universel et au total. Un Zeus
Tlalox, par exemple, n’aurait pas les mêmes caractéristiques que son homologue
Grec, mais la personnalité de ce dernier pourrait être éclairée par des aspects
nouveaux. Ainsi, à haute époque, en Grèce, en Gypaète ou ailleurs, de telles coalescences divines n’ont cessé de se
produire, grâce à l'art consommé des sacerdotes égyptien dans le constitution de faisceaux divins...
On a souvent reproché
à ces pratiques un caractère impérialiste, en y voyant des politiques
intentionnelles de domination spirituelle. Il n’est pas question pour nous,
bien sûr, de le nier. Mais on omet, dans cette accusation, le caractère essentiellement neutre du fait
religieux, comme, d’ailleurs, du fait linguistique : la religion est
ce qu’on en fait, ni plus, ni moins. Ainsi, ce qui pouvait jadis être une arme
de domination peut fort bien devenir
aujourd’hui un outil de fraternité, en se faisant le vecteur d’une
universalisme respectueux des identités. Par exemple, rien n’interdit
d’imaginer une interprétation à double
sens, où un Shango Dias, sorte
de Shango Blanc, porterait en
Afrique ses mythes, quelque peu différents de ceux de son homologue
« éthiopien », alors que notre Zeus
Xangos apporterait en Hellade quelques éléments mythiques étrangers au pays
où pousse l’olivier, le tout sous le
signe commun de la Double Hache…
Les Anciens étaient
d’ailleurs passés maîtres dans de telles adaptations mythiques. A partir du
moment où l’on sait, par exemple, que Zeus avait coutume de se rendre chez les Éthiopiens, « les plus justes des hommes », nous dit Homère, pour
prendre part à leurs sacrifices, pourquoi ne pas imaginer que ces derniers
aient reçu le Maître de l’Olympe avec les honneurs, sous le nom de Shango, Roi
d’Ifé ? Bien sûr, ces vérités-là ne
sont pas historiques ; mieux : elles sont mythiques, elles sont
symboliques. Pour aborder ces réalités dépassant la raison, une certaine souplesse d'esprit est nécessaire. Elles demandent, pour être appréhendées, non pas d’imiter les Anciens avec la servilité d’aujourd’hui, mais de
se glisser dans leur mentalité avec la liberté d’antan.
Si être Païen, comme on le répète si souvent, consiste à rendre aux Dieux du terroir
les honneurs qui leur sont dûs, alors il faut pouvoir le faire avec foi et
sincérité. Et cela consiste assurément à pouvoir rendre un culte à tous les Dieux de tous les terroirs, mais avec le
respect et le discernement, qu’ils méritent, c’est-à-dire en suivant les règles
qu’ils ont eux-mêmes institués dans chacun des terroirs dont ils sont issus, ce
qui implique une synthèse exigeante.
Et ce n'est pas autre chose, finalement, que respecter
l’essence même des Dieux, car c’est refuser d’en faire des êtres limités à
l’image des individus que nous sommes, en confessant leur allélousie. C’est se
rappeler qu’ils ne se présentent à nous sous une forme personnelle ou anthropomorphe
que par égard pour nous, car leur être dépasse de loin les limitations
spatio-temporelles, et la divinité, en soi, n'est pas personnelle ; par conséquent, le syncrétisme panthéonistique que
nous préconisons n’est rien d’autre que l’art
de nous rappeler qui nous sommes et qui sont les Dieux, et c’est là, en définitive, la piété
même, celle du Gnôthi Seauton.
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