L’Abécédaire du Petit Père Païen
G comme Grèce, Hellénisme
spirituel.
Comment peut-on être
Grec ? Car il ne vous a pas échappé, chères lectrices et chers
lecteurs, que l’auteur de ce blog se présente lui-même comme « Hellène
en matière de foi » ;
quelle est donc la signification de cette étrange lubie ?
Pour commencer, l’auteur de ce blog n’est pas Grec, au sens
où il n’est pas issu du peuple Grec, et n’est pas titulaire d’un passeport
Grec. Il ne s’agit donc pas pour lui d’une identité
nationale ou d’une appartenance
ethnique (choses qu’il respecte par ailleurs). Il s’agit d’un autre type d’identité, essentiellement spirituelle et religieuse, mais qui
pour autant n’est pas radicalement différente de l’appartenance au peuple Grec.
Il y a bien, dans cette hellénité,
quelque chose de national, mais ce caractère est distinct de l’actuelle nationalité
Grecque. Elle ne relève ni du sang, ni même de l’Histoire ou de la culture et
de la langue ; du moins, pour les trois dernières, pas exclusivement.
La Grèce n’est donc pas, pour le présent blogger, une
patrie, mais, pourrait-on dire, une matrie ; la matrice spirituelle
d’une sorte de deuxième naissance. Elle agirait un peu comme une nation
notionnelle dont le territoire ne serait pas situable sur une carte,
mais n’en existerait pas moins dans ce monde que Henry Corbin eut la fortune de pouvoir nommer, le Monde imaginal,
celui où René Daumal situa son Mont
Analogue. Ce serait une sorte de nation noétique.
Cette hellénité-là est celle des mythes et de l’épopée : elle n’est pas différente des terroirs
Grecs sur lesquels, voici des millénaires, elle a germé ; mais elle ne se
confond pas pour autant avec eux ; C’est une identité qui, comme
l’écrivait le préfet d’Orient Salloustios
dans les dernières lueurs du Paganisme, « n’eut lieu à aucun moment, mais
existe toujours » ( Sur
les Dieux et le Monde III, 18).
Lorsque, entre la fin du quatrième siècle et le
début du sixième siècle de l’ère vulgaire, les Chrétiens installèrent leur
pouvoir sans partage sur l’Empire d’Auguste, ils s’employèrent à déraciner des
cœurs et des têtes les croyances et les modes de pensée qui les y avaient
précédés. Ces croyances, qui étaient à
la fois infiniment variées et profondément semblables dans leur expression,
furent qualifiées, par volonté dépréciative, de « païennes », c’est-à-dire de croyances villageoises, de
superstitions arriérées liées à la particularité d’un terroir (pagus) ; en un mot, de religions d’idiots (idiotès signifie en Grec
« particulier », « privé »).
Mais les tenants de ces religions, conscients de leur
profonde communauté de culture et de foi, se nommaient eux-mêmes les Hellènes, et s’enorgueillissaient de
faire partie de la grande maison commune de tous les humains, la koiné
du monde, dont les magistrats étaient ces êtres puissants, immortels et
bienheureux qu’ils appelaient des Dieux. Peu importe, d’ailleurs, le nom qu’on
donnait à ces Archontes sacrés dans les différents pays de ce grand et
harmonieux jardin qu’était pour eux le Cosmos.
Et la façon dont les différents peuples leur rendaient les honneurs qui leur
étaient dus laissait tout un chacun pratiquement indifférent : seul
comptait le consensus universel selon lequel il était juste que chaque citoyen
du monde les honorât dignement pour habiter l’univers avec gratitude et
sérénité.
Ainsi, être Grec, au
sens spirituel du terme, c’est être partout chez soi dans le monde, et
n’être en exil nulle part, contrairement
aux Chrétiens pour qui, le royaume de leur Dieu n’étant pas « de ce monde » (Jean, 18 :36), tout
lieu reste un lieu d’exil.
Être « Hellène en matière de foi »,
comme l’affirmait de lui-même Georges
Gémiste Pléthon (mort en 1452), le premier restaurateur de l’Hellénité
spirituelle, c’est se proclamer citoyen
du Monde, et c’est ne rien tenir de ce qui est humain pour étranger. C’est
être conscient d’appartenir à la Famille des familles, à la Gentilité, sous le regard éternel des
Dieux et des Déesses que chaque peuple révère à sa manière.
L’Hellénisme, par conséquent, est pour l’auteur de ce blog
la base même de l’universalité Païenne
et de l’humanisme intégral qu’il
appelle de ses vœux. Et c’est pourquoi, après bien des tours et bien des
détours, il a adopté cette religion, qui est bien plus qu’une religion, mais un
art de vivre et une façon de penser et
de sentir.
Car l’auteur de ces lignes a dû visiter de nombreux
archipels avant d’aborder aux rivages de la Grèce. Il lui a d’abord fallu
mettre un nom sur cet étrange sensation
qu’on tous les Païens que le monde est habité par de mystérieuses puissances,
et que le cosmos est lui-même un « vivant, seul de son espèce »
(comme dit Platon dans son Timée)
doué non seulement de vie, mais encore d’intelligence.
Ensuite, il a dû chercher ses congénères dans une époque partagée entre mécréance et
tartufferie, tout en enquêtant sur l’existence d’une religion conforme à sa
croyance intime ; et c’est ainsi qu’il a dû aborder aux lointains rivages de l’Inde, qu’il
découvrit avec ravissement.
Mais il ressentit aussitôt ce que tout Païen ressent, et les
Indiens les premiers : le désir de
retrouver au plus près de soi ce qu’on est allé chercher ailleurs. Il s’est
donc tourné, tout naturellement, vers les religions de son propre terroir,
entre fleuve et montagne, à l’extrême Occident. Mais rien ne l’attendait-là qui
satisfasse son appétit de connaissance et de cohérence : les Druides, persécutés par les Romains,
n’avaient laissé aucune trace écrite de leurs prestigieuses doctrines, et leurs
Panthéons étaient ruinés, laissant des cercles divins dégarnis, et livrant
toute recherche spirituelle aux hasards des découvertes archéologiques et aux
spéculations plus ou moins bienveillantes de modernes érudits. Rien qui, à son
avis, permette de reprendre la
conversation au point où on l’avait laissée ; une source perdue dont
rien ne permettrait la résurgence
certaine.
Il fallait donc chercher
ailleurs.
Et cet ailleurs-là, quoique géographiquement lointain, était culturellement si proche qu’on ne le
voyait plus : il s’appelait la Grèce,
le Terroir des terroirs, la Mère des patries.
Et cette Grèce tout à
la fois proche et lointaine avait, qui plus est, un parfum d’enfance, celui des mythes
racontés, puis lus à la maison, lorsque les cloisons du salon s’estompaient et
qu’à leur place se dressaient les murs d’Ilion, lorsque l’orage dans la cour
était celui qui se déchaînait sur la nef d’Ulysse et l’éloignait encore et
toujours de sa chère Ithaque…
Et quelle terre plus
intime que l’enfance, en laquelle ont germé nos premiers
émerveillements ?
Aussi, ces Dieux qu’il interpellerait plus tard dans ses
prières étaient déjà familiers à
l’auteur de ces lignes, habitué à prononcer leurs noms comme celui de camarades
de récréation dont on connaît par cœur les goûts et les traits de caractères,
les amitiés et les inimitiés. L’Hellénité
fut donc pour lui l’occasion des retrouvailles, comme lorsque l’on revoit
ses cousins devenus grands. Et ils ne seraient plus désormais de simples
personnages de fiction, car les mythes ne sont pas des fictions : ils sont
aujourd’hui des Puissances Personnifiées. Ainsi, la liaison renouée s’est faite religion.
Cette religion-là,
non seulement relierait Démétrios à son enfance, mais aussi au reste de
l’humanité.
Car pour Démétrios Patakès, s’il y a des Dieux, ils ne sauraient se laisser confiner dans
d’étroites limites culturelles et historiques : celles-ci
contrediraient de façon criante leur ubiquité et leur éternité. Les Dieux ne
sont pas des objets de collection, ni des nains de jardin. Ils sont les Puissances Personnifiées du monde comme
révélation nécessaire de l’Être à lui-même.
Pour autant, leurs épiphanies
empruntent nécessairement aux modes
d’expression de l’âme humaine, à laquelle ils sont présents au même titre
qu’ils le sont au reste du cosmos. Et c’est pourquoi ils se montrent en
tout temps et en tous lieux à la fois
identiques et différents, nommés par des humains qui cherchent partout et
toujours à capter leur présence selon les moyens dont ils disposent ici et
maintenant.
Mais au sortir d’un millénaire et demi de domination
spirituelle judéo-chrétienne, il est bien compréhensible que les Païens contemporains se méfient de
l’universalisme comme de la peste. Beaucoup d’entre eux ont même fait de
son refus une condition sine qua non d’un Paganisme authentique.
En cela, cependant, ils se trompent, car ils imitent précisément la pratique aberrante
qui fut à l’origine de la funeste innovation qu’est le Monothéisme : la
monolâtrie ethnique. Ils se confinent ainsi dans la condition d’idiots spirituels à laquelle leurs
adversaires les ont assignés ; ils tombent dans le piège que tend le colon
au « primitif », et qui relègue la religion de ce dernier à la
catégorie de l’idolâtrie ou de la superstition. Car ils acceptent qu’on enferme leurs Dieux, comme des plantes exotiques,
dans un jardin d’acclimatation.
Deux universalismes,
en vérité, s’affrontent : celui
d’Athènes, maïeutique et herméneutique, et celui de Jérusalem, militant et
polémique.
Alors qu’Athènes accouchait lentement et sagement d’un monothéisme inclusif, capable de
déboucher sur une authentique religion universelle, Jérusalem accouchait dans
la douleur et la précipitation d’un monothéisme
agressif parce qu’exclusif, prêt à semer pour des siècles la mort et la
désolation dans le monde.
Car l'universalisme prétendu des Trois Monothéismes n'en a
en réalité que le nom : il se résume en fait à un impérialisme spirituel qui consiste à imposer par la force un
particularisme abusivement absolutisé. Or, ce faux universalisme porte en
lui-même sa propre contradiction comme une malédiction : en effet, chacun des
trois Dieux voulant être le Seul, le Monothéisme se montre porteur d’un ferment
de guerre perpétuelle dû à sa violence intrinsèque. Allah, le Père Eternel et
YHWH entretiennent entre eux une éternelle
rivalité, qui fonctionne finalement comme un polythéisme pervers et non assumé.
A cet universalisme catholique , mortifère, uniformisant et niveleur, il semble à
Démétrios qu’il faut aspirer à une véritable
universalité, analogique, verticale et respectueuse des différences, qui ne
s’oppose pas à la pluralité, mais qui s’appuie au contraire sur son infinie
fécondité pour s’élever vers une unité non arithmétique. La voute ne tient que
par la pluralité des piliers qu’elle unit.
La devise de cet universalité-là pourrait être "ce qui s'élève s'unifie", ainsi que sa
réciproque ; elle ne cherche pas l'Unité par la négation haineuse du Multiple,
mais par son intégration progressive et son intériorisation sur des plans
ontologiques de plus en plus élevés. C'est un universalisme dionysiaque et festif qui propose à chacun de "rassembler ce qui est épars" au
faîte de toute existence. Cet universalisme-là ne s’épuise pas à lutter contre
des "infidèles" et ne se résout pas à condamner la majorité de
l’humanité à la souffrance éternelle : il consiste à faire mémoire de l'Unité dans le Multiple.
C'est pourquoi Démétrios affirme que l'universalité Païenne est
au-dessus des formes, qu’elle est
d'essence supérieure, c'est à dire qu’elle relève
de l'Intelligible et non du sensible. C'est en ce sens qu'Héraclite disait que "l'Un
Seul Sage accepte et n'accepte pas d'être appelé Zeus".
Or, cet universalité
fut d’abord portée par l’Hellade. C'est ce que montre l'interpretatio
graeca (puis romana, car les
Romains, en humble vainqueurs, se mirent à l’école des Grecs) des Anciens, qui
adoptèrent un syncrétisme raisonné, grammatical, où les Dieux d’autrui
apportaient, en entrant dans l’alliance des peuples, leur contribution à la
grande harmonie de ce Tout splendide et
bien agencé que les Grecs nommèrent en leur langue Cosmos.
Avec la structure fédérative des Cités, couronnées chacune de leurs propres panthéons, mais se
retrouvant lors des fêtes panhelléniques
et autour des oracles sacrés pour célébrer la prééminence cosmique des
Immortels, la Grèce donne une image
politique de ce qu’est le Polythéisme en son essence.
Nulle part ailleurs qu’en Grèce cet heureux syncrétisme ne
put atteindre ce degré de perfection. Et cela pour une raison simple :
l’Hellade fut porteuse très tôt, et de manière plus intense qu’ailleurs, de la notion d’Humanité. C’est précisément en
cela, semble-t-il à Démétrios, que réside le véritable « miracle Grec ».
La religion Hellénique est en effet une religion amie de l’humanité, et de l’homme d’ici et de maintenant,
vivant dans un monde familier tissé de contradictions. Elle n’assène pas de vérités
grandioses, et ne cherche pas à sacrifier l’individu a une conception abstraite
de l’Homme. Elle s’adresse à ce que les
humains ont en commun avec les Dieux : la Raison, le Logos.
Car, humains, nous ne pouvons l’être qu’en tant qu’individus
concrets ; et, individus, nous ne pouvons l’être qu’en nous construisant par différentiation et non par confusion :
moi dans le groupe, le groupe dans un groupe plus grand et ainsi de suite, de
proche en proche, jusqu’à l’humanité entière.
Mais renoncer à cette
universalité, c’est renoncer de fait à l’humanité, car la seule nature dont
puisse se prévaloir l’humain est le dépassement de soi. Être enfermé dans
l’humain, en effet, c’est régresser vers l’animalité.
C’est là la démarche dialectique
que nous enseigne l’hellénité spirituelle, et c’est par cette voie qu’elle se
propose de nous permettre de rejoindre
le bonheur qui est celui des Dieux. Elle n’exige donc pas que nous
renoncions à notre humanité, mais que nous la dépassions par un travail sur nous-mêmes. Elle ne nous impose pas de nous convertir à
l’arbitraire d’un Dieu jaloux, mais elle nous montre, par les mythes et par
la philosophie, comment on peut
devenir artiste de soi en sculptant
l’image de sa divinité intérieure, comme le préconise Plotin, et comment on peut contribuer
ainsi, en compagnon, à l’œuvre universelle du Démiurge. Elle ne nous
enferme pas dans le carcan d’une morale érigée en absolu, mais elle nous
dévoile comment faire que notre imperfection même puisse contribuer à la
perfection commune.
Aucune autre tradition antique ne nous donne comme modèle
des figures ou la sagesse et l’héroïsme se mêlent avec autant
d’intimité : l’Hellade est la patrie d’Ulysse, le Sage Héros, comme de Socrate, le Héros de Sagesse. Le premier en son extraordinaire Odyssée
illustre hausse au niveau épique les vertus ordinaires que sont la prudence et la
persévérance, quand le second propose aux hommes ordinaires de devenir des héros
dans le quotidien en y illustrant les vertus épiques.
Et nulle part ailleurs qu’en Grèce cette sagesse héroïque
n’a été exprimée aussi clairement ni de manière aussi concise. Le « connais-toi toi-même », en effet,
n’a d’équivalent que le Tat tvam asi
(« Tu es Cela ») des Upanishad de l’Inde. Cette
maxime delphique, en ces deux mots lapidaires, nous tient lieu d’évangile, et
résume pour nous toute révélation. Et cette bonne nouvelle…N’est autre que nous-même.
Car nous, Hellènes, conseillons à chacun de se convertir à soi-même, d’entrer dans sa
propre forêt pour y trouver l’Arbre des Dieux, et préconisons que chacun
monte sur l’Acropole du Cœur pour y jouir de l’ombre bienfaisante de l’Olivier d’Athéna, le Soleil Vert de la Sagesse Pérenne, la seule qui puisse
être appelée telle. C’est là notre Yoga.
Chez nous, la Vérité
n’est pas extérieure à l’être humain, elle n’est ni brutale ni soudaine, et
ne viole pas les consciences en les humiliant ; elle est au contraire comme une mère en humanité, qui apprend
patiemment à ses enfants à marcher : ce sont nos consciences qu’elle élève
ainsi de manière aimante et progressive. En
elle, le culturel ne contredit pas le cultuel.
En nous enseignant les mythes, elle berce nos âmes par les
sobres rites appropriés à apprivoiser en nous l’animalité ; puis, lorsqu’elle
nous estime suffisamment éveillés, elle nous conduit vers le rude effort de
l’enquête cognitive et de la construction de la vérité, par la dialectique, à travers le fraternel mais exigent regard
de nos semblables. C’est par l’éducation
politique à la Vertu (arétè) qu’elle nous élève peu à peu
de la communauté humaine à celle, chorale, des Dieux et des Déesses.
Mais pourquoi la Tradition Grecque seraient-elle mieux placées que les autres Traditions
polythéistes pour construire un Polythéisme
Universel ?
D’après Dumézil,
il est presque impossible de trouver, dans les polythéismes grecs, des éléments
indo-européens très nets. Et pourtant les Grecs sont bien des indo-européens.
En fait, les religions grecques fonctionnent providentiellement comme le porte-greffe de toutes les religions
antiques traditionnelles, les Religions Aînées, Natives.
Et c’est là, encore, que réside le véritable « miracle grec » : dans son
extraordinaire capacité d’adaptation et d’assimilation, dans son cosmopolitisme
créateur, qui fait qu’en étant Hellène, on est aussi éclectique, et que l’on est en même temps, et de plein droit,
tenant de toutes les Traditions. Ainsi, Apollonios
de Tyane avait, dit-on, dans ses voyages à travers le monde connu de son
époque (fin du premier siècle et début du deuxième siècle de l’ère vulgaire), à
cœur de confirmer chaque peuple dans ses
propres traditions, qu’il venait éclairer de sa science surnaturelle…Un anti-Paul de Tarse, en quelque sorte,
bien que son image ait figuré près de celle du Galiléen sur le laraire de notre
Empereur Septime Sévère.
En outre, contrairement aux autres Traditions polythéistes
d’Europe, la Tradition Hellénique a pu réaliser
une double synthèse qui l’a rendu, seule, en mesure de réaliser aujourd’hui
la résurgence des Paganismes.
C’est d’abord la cohésion
intégrale du panthéon et la richesse
inégalée de sa mythologie qui fait la différence. En effet, si la quasi-totalité
des divinités antiques peuvent trouver, peu ou prou, une figure comparable dans
le Panthéon Grec (sauf peut-être l’énigmatique Janus des Latins, ou le Heimdallr
nordique), l’inverse est loin d’être vrai.
Hestia, par exemple, ne se retrouve ni dans la mythologie
germano-nordique, ni dans les mythologies celtiques (ou alors très
difficilement). Or, quoi de plus fondamental que la sacralisation du foyer,
surtout dans une époque comme la nôtre ? De même, il est très difficile de
retrouver ailleurs qu’en Grèce la personnalité irremplaçable de Dionysos, dont le rôle métaphysique est
primordial pour le Panthéisme.
Car notre foi s’éprouve
aussi par le goût et se célèbre par la saveur salvatrice : les
Paganismes sont tous plus ou moins liés à une boisson fermentée qui met les âmes en
rapport avec la divinité. Nous buvons en
elle notre ferveur comme une promesse de fermentation du fruit encore trop vert
de notre mental.
Mais l’hydromel ne soulève pas l'enthousiasme de Démétrios, et si la
bière emporte toute sa sympathie, c’est au vin qu’il revient de porter son âme
vers les portiques prometteurs de merveilles ensoleillées des Dieux d'or et d'azur.
Comme Julien, donc, si le Patakès se plait aux charmes de Lutèce, il
ne peut ignorer la pourpre et l’or que nous donne Liber ; Et il rend
grâces à l’Esprit diffus dans la Nature, dont le Vin et l’Homme sont les
bienheureuses résurgence. Vitis,
Vita, Vir et Vinum !
L’autre synthèse
ne concerne pas, cette fois, le matériel mythique, mais le degré de structuration de la pensée religieuse, qu’elle soit
théologique, morale, mystique ou rituelle.
On a coutume de dire, parmi les Néopaïens, que nos
religions, contrairement à celles qui sont issues d’Abraham, sont adogmatiques
(ce dont nous tirons à juste titre une grande fierté). En vérité, ce n’est
pas tout à fait juste : nos religions sont plutôt polydogmatiques,
c’est-à-dire qu’elles admettent une pluralité de discours sur elles-mêmes.
L’adogmatisme proclamé des religions néopaïennes sert d’ailleurs bien souvent
de paravent à des dogmes non-dits, dont l’énonciation implicite ne le cède en
rien au sectarisme et à l’intolérance reprochées aux Monothéismes.
Nombreux sont en effet, celles et ceux qui professent un a
priori contre toute réflexion théologique un tant soit peu rationnelle,
au nom de je ne sais quelle peur de l’intellectualité. Or, si la Grèce nous
enseigne encore quelque chose, c’est bien que les vérités ultimes et ineffables ne s’atteignent que par l’agon, par l’ascèse qui permet de
dépasser la raison et de passer au-delà des mots, et non en restant en deçà
de toute logique et de tout raisonnement. Ne peut être appelé sage qui n’a pas
dépassé la folie.
Or, l’Hellade fut première en Occident à structurer les écoles de pensées
fondamentales qui fondent toute réflexion religieuse authentique et ambitieuse.
Ce sont les quatre ou cinq « hérésies » qui font de
l’Hellénité le pendant traditionnel en Occident de l’Indianité et de ses darshanas :
l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote, le Portique de Zénon et le Jardin d’Epicure. Nous tenons là les quatre orients de l’horizon de la pensée,
à laquelle on pourra encore agréger l’Ecole de Pythagore, à moins qu’on ne la considère comme la mère de toutes.
De plus, ces cinq
écoles de Sagesse, dont on ne trouvera pas l’équivalent dans les autres
Polythéismes antiques (peut-être parce qu’ils ont été perdus ?), ont pu arriver,
en Grèce, a un point de maturation
suffisant pour se cristalliser dans
une grande synthèse, la fameuse synthèse
religieuse de l’Antiquité Tardive, avant que le Christianisme ne vienne
détruire ce grandiose édifice. Cette synthèse est représentée par le
Néoplatonisme, qui apparut à Rome, avec Plotin
et ses Ennéades dans le courant du troisième siècle, et qui fut
détruite par Justinien en 529 de l'ère vulgaire.
Or, cette école fut sans doute, pour nous qui en sommes réduits
aujourd’hui à mendier la lumière, notre
plus sûr gage de survie. Car si la cénotomie ("innovation") Chrétienne a pu s’introduire par
effraction dans le sanctuaire de la Philosophie en exploitant de façon indue le
dualisme de la pensée de Platon, c’est sans doute aussi par cette voie qu’elle
en sortira. Les Galiléens ont en effet greffé leur théologie sur la nôtre, et
lui ont ainsi permis de survivre ; mieux, ils l’ont sans doute enrichie.
Et les temps sont venus pour nous de
secouer le joug des concepts judéo-chrétiens.
Mais il faudra, pour cela, éviter un certain nombre d’écueils auxquels seul le génie
hellénique de la spéculation nous permettra d’échapper. Parmi ces écueils, il
en est deux qui, tels Charybde et Scylla,
risquent de compromettre notre arrivée à bon port.
Le premier consisterait à céder à une facilité conforme à
l’esprit du temps, et à aller gaiement se diluer dans une universalité de pacotille, en se noyant volontairement dans le grand consensus new-âge où tout se vaut et
où tout se confond dans un bourbier informe, celui où meurt toute
intellectualité authentique.
C’est pourquoi le Petit Père Païen affirme avec force qu’il n’est de Polythéisme que panthéonistique, et s’en expliquera
dans un prochain article (P comme Paganisme, Panthéisme et
Polythéisme). Les Traditions que nous avons la chance de pouvoir
recueillir sont l’expression d’un Providence
dont il serait criminel de dilapider l’héritage. Or, c’est ce qui se passe
depuis que l’anglais nous englue dans le grand supermarché des spiritualités au
rabais, dont la plupart nous viennent d’outre Atlantique.
Le second consisterait
à repousser toute forme d’universalisme et d’humaniste sous le prétexte
fallacieux qu’ils seraient le fourrier du Monothéisme honni. Cette tendance-là
relève d’un confusionnisme encore plus
nocif que le précédent, dans la mesure où il se dissimule derrière son
contraire.
Il est, tout d’abord, gros d’une menace totalitaire, puisqu’ il opère une confusion funeste entre l’ordre politique et l’ordre religieux,
exactement du même genre que celle qui sévit dans les religions nocives qu’on
affecte de combattre. Mais, ce qui est plus grave encore, il opère une confusion impardonnable dans un domaine
plus élevé, qui est celle des plans ontologiques
Car une religion
authentique ne saurait être affaire de sang, mais de sens.
A présent, chers lecteurs et chères lectrices, voilà
éclaircies les raisons pour lesquelles Démétrios Patakès, l’auteur de ce blog,
se proclame haut et fort « Hellène en matière de foi ».
Pour lui, l’Hellénisme n’est autre que le Paganisme
en version auriginale. Et, sur
l’écran de la Caverne Obscure où rêvent les captifs, la Grèce éternelle, sous
les traits de la Vierge aux Yeux Pairs,
dit au monde : « venez !
la foi est libre ! »
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