L’Abécédaire du Petit Père Païen
F comme « Féminin Sacré ». Sexe, genre et spiritualité.
Déesse, nous ne
pouvons Te connaître en tant que Cause, et Ton essence ultime est à jamais celée
à nos yeux ; mais nous pouvons Te reconnaître à travers Tes œuvres et les
bienfaits sans nombre dont Tu nous combles, et qui sont les effets de Tes
multiples puissances.
A travers Ton voile,
Déesse, nous voyons briller l’éclat de Tes parures, comme les étoiles
innombrables qui scintillent dans la nuit. Et cette seule contemplation nous
rapproche de Toi, Ô Mère de toutes choses, Toi dont le lait est l’Être même.
« Féminin
Sacré »
Entre guillemets, parce que selon l’expression consacrée.
Car cette formule est une des plus énigmatiques à laquelle je fus confronté, lorsque, voici un peu plus
de cinq ans, je suis « sorti du placard à balais », selon une autre
expression consacrée, c’est-à-dire lorsque j’ai décidé de cesser d’être un
Païen solitaire pour aller à la rencontre de mes semblables.
Cette expression n’a pas cessé depuis de me titiller,
d’exciter ma curiosité, de me rendre
perplexe.
Pour moi, être Païen avait toujours signifié, entre autres,
me garder des erreurs des Monothéismes, dont l’une était justement de reléguer le genre féminin à un statut
métaphysique mineur.
En effet, bien qu’ils s’en défendent, les trois Monothéismes Abrahamiques véhiculent
une image très mâle de la Divinité.
A maintes reprises, le Dieu d’Israël parle à son peuple comme un époux à une
épouse, pour lui reprocher son infidélité ; Dans le Judaïsme, le sacerdoce
était réservé exclusivement aux hommes jusqu’à une date récente.
Dans le Christianisme, Dieu
choisit un corps masculin pour s’incarner, et la féminité est réduite à l’état
de réceptacle, sans avoir un véritable accès au statut divin. Le sacerdoce
Catholique est toujours exclusivement masculin. Quant à l’Islam, même si le Nom
Divin contient quelque ambigüité dans sa graphie, les Attributs de Dieu sont déclinés au masculin et, dans les
invocations mystiques, on s’adresse « au Seigneur » en l’appelant
« Lui ».
On est donc bien ici dans la religion de Dieu le Père, et pour nous, du Père des Dieux, puisque de nombreuses
traditions l’identifient à Kronos-Saturne,
qui est l’interprétation principale du El
sémitique, dont le Baal Hammon
punique est une des représentations les plus exemplaires.
Pour être honnête, il convient cependant de mentionner que,
si toutes les apparences cultuelles, traditionnelles et scripturaires donnent
au Dieu d’Abraham une figure hautement masculine, la théologie des trois
Monothéismes corrige en partie cette image, en affirment que la transcendance de Dieu dépasse toute les
catégories, y compris celle de genre. Mais on ne s’y attarde pas :
tout se passe comme s’il s’agissait d’une précaution
oratoire, et surtout, comme si la « masculinité » divine était en
quelque sorte une garantie de sa neutralité de genre. Car si Dieu était
une femme, c’est, en fait, comme si… Il n’était plus Dieu.
Pourtant, les Monothéismes portent encore des traces ténues d’un état ancien où le genre
féminin n’avait pas encore été totalement exclu du Divin : en Hébreu,
par exemple, l’« Esprit » de Dieu est du genre féminin (ruah). On a également trouvé une
inscription du VIème siècle avant l’ère vulgaire mentionnant « YHWH et son Ashera » près de Shefelah dans l’ancien royaume de
Juda : on pense que cette Ashera est une parèdre de YHWH, correspondant à une Déesse
majeure du panthéon Cananéen, Athirat.
Le nom même du Dieu des Musulmans, Allah,
interprété couramment comme contraction de Al-ilah
« la Divinité », fait irrésistiblement penser à un ancien théonyme
Arabe, Allat, interprétée en Athéna par les Grecs (fig.1).
Al-Lat sur un autel à encens du temple de Baalshamin, Palmyre/Tadmor (source : www.aly.abbara.com)
Finalement, on peut raisonnablement affirmer que, dans les
Monothéismes Abrahamiques, la féminité divine n’est pas vraiment assumée,
refoulée qu’elle est dans la sphère théorique et abstraite de la théologie. Dès
lors, on pourrait légitimement conclure que l’égalité des deux sexes de
l’humanité n’a pas de fondements théologiques et doctrinaux, puisque Dieu est décidément viril et que
rien de ce qui est féminin n’est divin.
Or, dans les différentes religions Païennes, il n’en est
rien, quand bien même ces expressions religieuses se sont épanouies dans un
contexte souvent très patriarcal (en Méditerranée notamment). Dans tous les
polythéismes historiques en effet, non seulement les Panthéons contiennent des Déesses et des Dieux, mais la Divinité en
soi, lorsqu’elle trouve une expression théologique et mythique, est montrée
comme androgyne. Cette androgynie
assumée est quasi universelle, et trouve sa plus belle expression dans l’Ardhanarishvara
indien (fig. 2). Nous
reviendrons plus bas sur l’Inde, qui est à mon sens le Polythéisme ayant porté
au plus haut la réflexion théologique
sur le genre.
Wikipedia en anglais Ardhanarishvara, auteur inconnu, British Museum
La pluralité des
mythes, dans les Polythéismes, est également un des facteurs qui favorise l’expression de cette androgynie divine.
En effet, nombreuses sont les mythologies qui allient, sans qu’il y ait de
contradiction entre elles, des cosmogonies
centrées sur le masculin à des cosmogonies centrées sur le féminin. La
Grèce, civilisation pourtant connue pour être très patriarcale, voire misogyne,
fait remonter les origines du monde à une entité féminine (Nyx, la Nuit), à une entité féminine alliée à une entité masculine
impersonnelle, c’est-à-dire de statut inférieur (Eurynome et le serpent Ophion),
ou bien encore à un couple primordial (Océan
et Téthys). En Egypte, si le Démiurge est souvent le Soleil envisagé en
mode masculin (Atoum-Rê), il peut
aussi être une Déesse (Neith), etc.
Les Paganismes proposent donc à notre méditation une pluralité de modèles divins, tant
masculins que féminins. Et, comme nos anciens Maîtres de sagesse nous
enjoignent en tout premier lieu de « suivre le Dieu » (Maximes
Delphiques), ou de « se rendre semblable à la Divinité dans la
mesure du possible » (Platon,
Timée), il nous semble licite de
tirer des différences de sexe ou de genre un enseignement métaphysique.
Il convient cependant d’être prudent et de ne pas tomber dans les pièges de
l’essentialisation simpliste et du stéréotype, qui a conduit l’humanité
vers les voies de l’oppression et du mépris, et ce, toujours dans le même sens,
celui de l’homme sur la femme. D’autre part, pour simplifier notre enquête,
nous considèrerons le genre et le sexe comme quasi synonymes, bien que
n’ignorant pas qu’il s’agit de deux notions distinctes. Nous parlerons
désormais de Divinités mâles et femelles, réservant les notions d’homme et de
femme à l’humanité.
Dans l’expression « féminin sacré », quel est l’élément premier ? « Féminin » ou « Sacré » ? Autrement dit,
doit-on considérer le féminin comme
source de sacralité, ou doit-on considérer le Sacré sous son aspect spécifiquement féminin ? Bien entendu
les deux questionnements ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, mais la
formulation fait cependant pencher vers le premier aspect du problème : en quoi la féminité est-elle une source
spécifique de sacralité ?
Pour un homme, il est bien difficile de répondre à cette question,
dans les circonstances existentielles où il se trouve. En effet, notre genre
(sinon notre sexe, avec les technologies actuelles) nous détermine notre vie
durant : nous sentons que nous ne sommes pas autre chose qu’homme ou
femme, mais que nous ne sommes pourtant pas exclusivement cela. Jusqu’à quel
point sommes-nous ainsi conditionnés ? Sommes-nous entièrement et pour toujours déterminés par notre genre ?
Rien n’est moins sûr. Si l’on se réfère aux traditions mythologiques (Grecque
notamment), on rencontre beaucoup d’indices laissant penser que l’humain, en tant que personne, n’est pas
déterminé de manière absolue et définitive comme homme ou comme femme.
On songe par exemple à Tirésias,
devin qui connut, dit-on, l’expérience des deux sexes, mais aussi à Héraclès, bien que son séjour aux pieds
d’Omphale ne fût pas une véritable
transformation, mais plutôt un travestissement.
Ce dernier, d’ailleurs, intervient dans de nombreuses séquences rituelles,
particulièrement dans un contexte lié aux initiations de classes d’âge ou au
mariage. Le plus souvent, ce sont les hommes qui se travestissent, mais pas
exclusivement.
On pense également à certains cultes mystiques, comme celui de Cybèle, dont les fidèles, les Galles,
s’émasculaient à l’imitation du Dieu Attis,
fils et amant de la Déesse, afin de se rapprocher de cette dernière. Ici, le
changement de genre correspond à une transgression
de soi pour faire l’expérience de la transcendance dans le cadre d’une
démarche initiatique. J’y reviendrai.
Dans la perspective qui est la nôtre, il nous semble évident
que, si l’être humain ne se limite pas à
son expression d’individu empirique, il dépasse nécessairement les catégories
du genre et du sexe, qui constituent des déterminations, et qui, en cela,
ne sauraient être placés au-dessus de son essence divine, expression ultime de
son être.
La question est dès lors de savoir, d’une part, quelle est l’emprise ontologique de la
détermination de genre et, et, d’autre part, quel est le sens métaphysique de cette détermination dans la vie
intégrale de la personne humaine.
Pour répondre à la première
question, il nous semble que la détermination sexuelle ne touche que la manifestation corporelle de l’individu ;
or, nous affirmons par ailleurs que celle-ci ne représente qu’un moment donné
de la révolution d’un astre humain, et qu’elle n’est pour ainsi dire qu’une
saison dans une existence qui excède de beaucoup la simple vie corporelle. Nous
émettons même l’hypothèse que l’âme est
un vivant qui marche sur deux jambes, dont les bas sont tour à tour un
corps d’homme et un corps de femme.
Ainsi, l’expérience
que nous devons vivre dans l’ordre biologique implique, pour être
intégrale, qu’elle s’appuie sur les deux types d’existence, et cela, au moins
une fois, si ce n’est un nombre indéterminé de fois. Le fait que nos Panthéons
(si tant est, bien sûr, que nous appuyons notre pratique sur un Paganisme panthéonistique) nous proposent plusieurs modèles existentiels
tant mâles que femelles nous permettrait, selon cette perspective, de ne pas boiter, de ne pas évoluer à cloche-pied mais de toujours appuyer nos vies sur une sacralité adaptée.
Mais il semble également évident que le genre ne se limite pas au corps : il concerne également
l’âme, encore que d’une manière très différente. Il est probable en effet que
le sommet ultime de notre personne
touche à l’androgynie divine, et que cette androgynie parfaite se reflète
pour une part dans le miroir psychique. Mais l’âme est fort complexe, comme
nous le verrons bientôt (I comme
Intellect), et, par conséquent il est à parier qu’elle ne soit pas
limitée à un seul genre.
Si, comme le pensent la majorité des Néoplatoniciens, l’individuation est un processus qui
précède la formation du corps, il est probable que le genre de la partie
individuée de l’âme soit conforme (dans la grande majorité des cas) au sexe du
corps. Nous ne nous risquerons pas quant à nous à examiner le cas où les deux
sont en opposition.
La Tradition romaine nous enseigne que nous recevons, à
notre naissance, une entité appelée « génie » pour les hommes et « junon
» pour les femmes, entité que les Grecs connaissent également et qu’ils
appellent Daïmon. Celui-ci, du même genre que le corps de l’individu, est
communément perçu comme distinct de lui-même et proche du Divin. Il est probable
que cette entité corresponde à la racine genrée de l’individu.
En revanche, l’étude des mythologies et des traditions de
nombreux peuples anciens comme modernes nous incline à penser qu’une instance plus profonde de l’âme est du
genre opposé à celui qui est en acte dans l’existence présente de
l’individu. Ce genre est donc, quant à lui, latent, et représenterait à la fois le vestige et l’anticipation
d’autres existences, dans la course éternelle de l’âme sur son orbite autour de
son soleil intelligible, l’intellect axial, dont elle est l’expression vitale.
Il n’est donc pas interdit de penser que chacune et chacun
d’entre nous possède en elle ou en lui une part
masculine ou féminine, et que cette « part » joue même, dans nos
vies psychiques et nos évolutions spirituelles, un rôle majeur quoique discret.
La vie posthume, notamment,
est souvent décrite comme la rencontre avec une entité féminine (car seul les cas masculins sont documentés à notre
connaissance) pouvant être éventuellement considérée comme un double féminin du
défunt : les Lases italiques,
par exemple, entrent dans cette catégorie, ainsi que les Valkyries nordiques ou la Daena
iraniennes. Les noces posthumes qui sont célébrées alors avec de telles entités
sont considérées comme un signe d’évolution spirituelle positive et le passage à un plan ontologique supérieur au
plan individuel, ce que l’union avec le sexe opposé traduit symboliquement.
Cela nous amène à la deuxième
question : quel peut être le contenu
sacral du genre et, dans le cas qui nous occupe, de la féminité ?
Bien entendu, nous tâcherons, dans le cadre d’un Paganisme
résolument transséculaire et conscient de sa pérennité de droit, de ne pas
nous laisser enfermer dans des déterminations
culturelles étroites liées à un stade historique donné de nos Traditions.
Donc, n’attendons rien des stéréotypes
éculés de douceur, d’abnégation ou de beauté, d’intuition féminine et autres
faciles facéties.
La condition féminine, (comme d’ailleurs la condition
masculine) est d’abord une condition biologique.
Elle implique un certain nombre d’évènements, comme les règles, la possibilité
ou non de porter en soi un corps vivant, de nourrir à partir de son propre
corps, ainsi que le fait d’avoir un vagin et non un pénis, et sans doute encore
bien d’autres choses dont je ne peux, par construction, avoir l’expérience dans
cette vie-ci.
Une des expressions
biologiques majeures (quoique non exclusive) de la féminité est la maternité. Or, ce trait est fondamental
dans toutes les mythologies, qui expriment chacune d’une matière différente
cette Maternité Divine. Ce mythème est absolument fondamental pour le
paganisme, non seulement parce qu’il le différencie radicalement des Monothéismes Abrahamiques, mais encore
pour des raisons qui lui sont propres,
tant sur le plan théologique que sur
le plan psycho-mythique.
Sur le plan
théologique, la Maternité Divine est la plus parfaite expression du Panthéisme ou du Panenthéismes, qui sont les
substrats doctrinaux des Polythéismes. En effet, l’embryon, porté dans la
matrice de sa mère, est à la fois différent d’elle et de même nature, sans lui
être étranger ou extérieur ; contrairement à la Paternité Divine qui exprime une extériorité et une distance, la
Maternité Divine, au contraire, exprime de manière tout à fait adéquate la
communauté d’être entre la Divinité et le Monde. Cette synousie peut être
symbolisée par le cordon ombilical qui relie tout être autonome à son origine
cosmique.
Ce même symbolisme
matriciel joue également un grand rôle sur le plan psycho-mythique, en permettant à l’âme individuelle de se
vivre sur le mode de l’inclusion à
un giron universel à la fois différent d’elle et de même nature qu’elle. Ce
schème est particulièrement opérationnel dans les Mystères, où le transit mortel est anticipé rituellement sur le
mode d’un retour à la Matrice Divine
par la reconquête de l’intériorité spirituelle, de l’intimité de l’être avec
lui-même.
Outre ses aspects biologiques, la condition féminine
implique également, sur le plan culturel,
historique et sociétal, l’éventail de certains
types d’existences, d’une infinie variabilité : de la matrone romaine
à l’institutrice brésilienne, de la reine égyptienne à l’ouvrière allemande, de
la guerrière picte à l’executive woman
canadienne, etc. Toutes ces existences individuelles
peuvent-elle être rattachées à un archétype divin dans une religion
Païenne ? Notre réponse est oui ; et c’est une des grandes
différences avec le Monothéisme, qui implique une certaine schizophrénie entre
l’activité quotidienne d’une femme, notamment contemporaine, et les archétypes
que lui propose sa religion.
Nos Dieux, en effet, proposent des modèles performatifs d’existence et de perfectionnement pour les
individus humains ; nous avons vu ailleurs (E comme ésotérisme) que, dans le cadre des Mystères, ils
agissent comme des voies d’évolution
spirituelle pour celles et ceux qui les ont pris pour guide. Plus
largement, leur providence omniprésente permet à chaque parcours existentiel de trouver son sens et l’appui ontologique
nécessaire à son accomplissement. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les
Dieux se présentent à nous sous une forme
adaptée à nos existences empiriques, c’est-à-dire sous une forme individuelle, genrée et sexuée.
Dit autrement, chaque Dieu et chaque Déesse nous apporte l’évangile qui
convient à notre vie, et non un évangile unique comme celui de Jésus.
Ainsi, chaque Divinité permettra aux femmes de tisser avec
elle une relation dévotionnelle en
rapport avec son destin et son être profond : l’une sera l’amante de sa Divinité d’élection, l’autre sa
servante (plus rarement sa maîtresse, mais pourquoi pas : peut-être une
Omphale se découvrira-t-elle la vocation de dominer son Héraclès mystique),
l’autre encore sa mère, sa fille ou son amie, etc.
On observe très bien cette variété des angles dévotionnels dans l’Hindouisme (avec la dévotion
mystique à Krishna par exemple), ou
encore dans les religions afro-caribéennes, où la transe joue, comme on le
sait, un rôle primordial : telle « fille de Xangô » va se vivre comme épouse de son Orixa, et par conséquent
se méfier de la jalousie de sa parèdre Iansã
et de toutes les femmes dans la tête desquelles celle-ci vient danser ;
telle « fille de Yémanjà »
va vivre avec sa Déesse marine une tumultueuse histoire d’amour lesbien, etc.
Les Divinités, dans leur infinie bonté, se prêtent de bonne
grâce à ces jeux mystiques, car leur instinct divin les y poussent : elles
ne peuvent pas ne pas répondre à nos élans individuels, elles qui, comme je
l’ai dit, ne vivent pas selon notre schéma d’existence. Ainsi, les divinités ne sont-elles mâles ou femelles que par rapport
à nous, humains concrets ; les mythologies et les rites d’hier et
d’aujourd’hui fourmillent d’exemple qui montre qu’en vérité, le sexe des Dieux est pour le moins flou.
Ainsi, de nombreuses divinités peuvent apparaître tout à
tour sous une forme mâle et sous une forme femelle : j’en veux pour preuve
Palès et Robigo /Robigus du Latium, Freyr/Freyja de forêts nordiques, Inari des rizières du Japon, et j’en passe…Même Zeus, divinité virile s’il en est,
prend parfois des aspects féminins inattendus…En outre, il arrive souvent que,
ne sachant quel est le genre du Numen ou du Kami à qui l’on s’adresse, on utilise une formule stéréotypée du
type : si deus, si dea (« que tu sois Dieu ou Déesse »).
Donc, comme le sexe des Anges, on peut dire que le sexe des Dieux ressemble
furieusement au Chat de Schrödinger : c’est l’observateur (ici le dévot, l'observant)
qui le détermine dans l’acte même de l’observation.
Tout ce que nous
venons de décrire concernant le féminin sacré aurait aussi bien pu être écrit sur le masculin sacré ;
cependant, pour des raisons historiques et sociétales, un aspect du féminin
sacré semble exclusif de l’autre genre. Cet aspect concerne le sort fait aux femmes durant des siècles de
patriarcat.
Le sacré féminin,
dont le féminin sacré est le miroir, s’il a pu contribuer par le passé à
reléguer les femmes dans une position subalterne, contribue aujourd’hui, le
plus souvent, à l’émergence d’une
conscience intime de la dignité propre du féminin, d’une foi des femmes en leur
propre puissance, en un mot, de leur empowerment.
Cette émancipation spirituelle se
produit à travers la renaissance de la dévotion aux grandes Déesses, parmi lesquelles Isis, la Morrigan ou
encore Hécate et Sekhmet jouent un rôle particulièrement
important, en proposant, justement, des modèles d’existences en phase avec
l’autonomisation des femmes.
Parallèlement à cette émergence, on peut voir apparaître, ou
plutôt réapparaître, des types de sacerdoces
féminins et de confréries
spirituelles féminines, telles qu’elles existaient avant la monothéisation des sociétés ou non. Ainsi, à
côté des cercles ou des covens
féminins apparaissent des collèges de Vestales ou des sodalités d’adoratrices
de la Déesse. Nous n’avons pas connaissance de la constitution de telles
organisation du côté masculin ; il ne serait pas impossible d’imaginer la
réémergence de sociétés comme celle, par exemple, des dévots du Dieu Mithra.
De même, certaines fêtes
antiques portaient une forte coloration de genre : les Thesmophories, par exemple, ainsi que
la Célébration Romaine de Bona Dea
étaient exclusivement féminines. Selon le mythe, en revanche, Hercule aurait exclu les femmes de
certains de ces rites…
Tous ces faits religieux liés au genre dans les religions
antiques nous ramènent au problème de la signification
métaphysique du sexe et du genre. Si, comme nous le croyons, les faits sociaux et naturels qui ont cours
dans l’ordre du devenir sont les reflets de faits éternels dans l’ordre de
l’Être réellement être, quels enseignements en tirer ? Car enfin, les
Dieux sont eux même mâles et femelles, et cette dichotomie ne saurait être
accidentelle…
En avouant ici notre grande perplexité et l’insuffisance de
notre recherche sur ces questions, nous sommes conscients que nous touchons là
un problème crucial, qui concerne rien moins que la vision que nous avons du monde et de l’être. En effet, soit nous
percevons le monde comme intégralement tissé de sens ( fût-il abscons dans
l’état où nous sommes) et ordonné à une harmonie cachée ; et alors la
dichotomie de sexe et de genre, faisant sens, est source de progrès
spirituel ; soit nous considérons que cette dichotomie n’a aucune valeur
symbolique, qu’elle est par conséquent purement accidentelle ; mais alors
on doit nécessairement adhérer à une vision semblable de l’être et du monde,
c’est-à-dire à une vision matérialiste et Athée.
En ce qui nous concerne, et comme nous l’avons déjà montré
dans notre article sur les Dieux (D
comme Dieux etc.), nous voyons dans la dualité des sexes et des genres
une psychagogie particulière :
celle qui nous initie à l’Altérité
Radicale comme propédeutique au dépassement de l’Ego. En effet, la division
de l’être humain en sexes nous oblige à ressentir un manque (quel que soit par
ailleurs la manière dont nous le ressentons, qu’elle soit attractive ou non).
Car notre humanité concrète, individuelle, n’est qu’une humanité en
puissance : elle est incomplète lorsqu’elle est empirique.
Nous touchons là, en
l’Homme, au mystère de l’Un. Car l’Un aussi, lorsqu’il est Un, n’est pas,
et lorsqu’il est, n’est plus l’Un, comme le dit Parménide que nous avons cité à plusieurs reprises. Ainsi, l’un des
enseignements majeurs du sexe, c’est que nous sommes étrangers à nous-mêmes,
mais aussi que cette étrangeté n’est ni définitive, ni absolue : elle nous
ouvre une voie vers sa résolution ; voie périlleuse, certes, mais
existante. L’autre sexe, comme sexe
(signe) de l’Autre, ouvre en nous la notion de transcendance réciproque, de Mystère Mutuel : hommes et femmes
sont les voies de la libération l’un de l’autre. Ainsi, les femmes seraient
pour beaucoup d’hommes les portes de la sacralité, et les hommes pour les
femmes. Il existe cependant d’autres voies que celles-ci, qui ont été déjà
défrichées depuis bien longtemps.
Car comme nous l’avons évoqué plus haut, les Traditions Hindoues ont déjà mené très
loin cette enquête en élaborant les notions de Purusha et de Prakriti
(« personne » et « nature »), ainsi que de Shiva et de Shakti, où le féminin est compris comme dynamis, puissance, et le
masculin comme on, identité, témoin sans pouvoir. Ces archétypes de genre
théologiques, mis en scènes dans des mythes et mis en œuvre dans des rites, ont
donné lieu à une des disciplines spirituelles les plus admirables qui soient :
la Tantrisme.
Nous appelons de nos vœux une réflexion sur ces choses en
occident, et notamment parmi les Païennes et les Païens francophones ; non
pour copier servilement et adapter de façon stupide des notions étrangères,
mais pour examiner nos propres
traditions sous un jour nouveau, à la lumière d’un soleil qui se lève après
une longue nuit. Peut-être, de retour d’Orient avec sa troupe rebelle et
tapageuse, le Seigneur Couronné de Lierre viendra-t-il nous enseigner les
doctrines du Pamprisme ?
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