L’Abécédaire du Petit Père Païen
W comme Wicca, sorcellerie, magie.
La question de la différence
entre magie et religion est une de celle qui a fait couler des flots
d’encre depuis le XIXème siècle. Nous tenterons tout à l’heure d’y apporter
notre modeste contribution, selon une perspective que nous croyons presque
inédite, qui est celle du Paganisme, tant il est vrai que, jusqu’à présent, le
problème a été traité soit dans une perspective scientifique, se voulant
extérieure parce qu’affranchie de toute préoccupation d’ordre métaphysique,
soit depuis le point de vue des « Religions du Livre », hostiles par
principe à tout ce qui ressemble de près ou de loin à la magie ou à la divination.
Le microcosme Néopaïen est traversé, nous l’avons vu dans
les précédents articles, par de nombreuses
et fâcheuses confusions ; l’une d’entre elles, et non des moindres,
est celle qui tend à assimiler Paganisme
et sorcellerie. Ces deux notions, en effet, sont, aux mieux,
distinguées ; mais la plupart du temps elles sont allègrement confondues,
ce qui est, à notre sens, regrettable, parce que nuisible à l’une comme à
l’autre.
Cela s’explique cependant par des raisons historiques. S’il est vrai que la résurgence des piétés polythéistes en Occident peut être datée,
selon nous, du XVème siècle avec le
néo-hellénisme de Georges Gémiste
Pléthon (1360-1452), puis, plus durablement, avec l’avènement du
néo-druidisme de John Toland (1670-1722)
en Angleterre au début du XVIIIème
siècle, le gros du mouvement
néopaïen ne surgit vraiment qu’après la deuxième guerre mondiale.
Cette résurgence est d’abord, et massivement, le fait du monde anglo-saxon, avec le
développement de la Wicca, fondée
dans les années 40 au Royaume Uni
par Gerald Brosseau-Gardner, largement
influencé par l’égyptologue Margaret
Murray. Or, ce mouvement fait explicitement
référence à la sorcellerie comme religion, voire même comme religion
primordiale, puisqu’elle aurait été pendant des siècles le conservatoire des Paganismes persécutés.
Chez certains Wiccans, cette primordialité est même devenue
tellement archétypale qu’elle a fait de la Wicca la religion par
excellence ; ainsi, il n’est pas rare d’en rencontrer pour qui l’équivalence entre Paganisme et sorcellerie
(ou magie) va de soi, ce qui le laisse pas d’agacer prodigieusement les
autres Païens, pour qui cette équation, au contraire, n’a rien d’évident.
Pourtant, le fait est que beaucoup de Païens et de Païennes
sont venus au Paganisme par le
truchement de la Wicca et de l’imagerie sorcière qu’elle véhicule. L’auteur
de ces lignes ne fait pas exception : il se souvient avec émotion de ce
jour béni où, dans la quête encore confuse de son identité spirituelle, il est
tombé, au détour d’une page de Robert Charroux (eh oui…lorsqu’on a pas de Religion du Livre, on a la révélation qu’on peut !), sur des photos de
Gardner et de la grande prêtresse Doreen
Valiente, et qu’il a découvert avec ravissement que les sorciers et
sorcières existaient encore !
Ainsi avons-nous toujours gardé pour la Wicca une certaine
tendresse, et ne dédaignons pas, parfois, entrer dans le cercle magique avec
quelques amis disciples de Cunningham…Mais
il nous est vite apparu que quelque
chose sonnait faux et que soit la
Wicca n’était pas vraiment sorcière, soit elle n’était pas vraiment une
religion. Et c’est la première des deux propositions qui nous a semblé
vraie, même si certains aspects de la véritable sorcellerie sont bel et bien
présents dans la religion de Gardner, et non pour le meilleur, assurément.
Il est des produits qu’on dit naturels, et d’autres qu’on appelle produits de synthèse. La Wicca est de ceux-là : elle est,
parmi les religions, une religion de
synthèse, comme l’est l’esperanto parmi les langues. Ces deux dernières productions
de la psyché humaine, en effet, l’ont été par la pensée d’une seule personne,
en quelques années, et non par l’évolution séculaire d’un groupe humain, comme
le sont les langues dites « maternelles » et les religions dites
« naturelles » (quant aux religions dites « révélées »,
leur statut, à cet égard, est problématique). Ainsi, la Wicca, pour séduisante
qu’elle puisse être, n’est jamais que la création
bien ficelée, il est vrai, d’un
individu ayant su allier avec bonheur des éléments de linguistique,
d’anthropologie, de psychologie et de folklore. A ce titre, on ne peut que
reconnaître à Brosseau Gardner et à ses émules un talent proche de celui de
Tolkien ; et le fait que les adeptes du premier soient souvent les lecteurs
enthousiastes du second n’ont d’ailleurs, selon nous, rien d’un hasard.
En tant que produit religieux de synthèse issu d’une formule
particulièrement heureuse, la Wicca
s’inscrit donc fort bien dans la lame de fond de la culture anglo-saxonne qui a
balayé le monde après la seconde guerre mondiale : elle est tout à
fait représentative des Trente Glorieuses, et trouve naturellement sa place à
côté du cinéma hollywoodien, du rock n’roll et, plus tard, des géants de
l’informatique et du net. Elle participe
de la mondialisation anglo-saxonne au même titre que ces derniers ;
elle fut d’ailleurs portée par des productions cinématographiques et
littéraires contribuant à populariser dans le monde entier l’imagerie sorcière, de Ma Sorcière Bien-Aimée à Harry
Potter en passant par Charmed.
C’est d’ailleurs là, à notre avis, un des principaux
reproches qu’on pourrait faire à la Wicca en tant que Paganisme de synthèse. Elle contribue en effet à détourner beaucoup de Païennes et de Païens
des traditions issues de leurs propre terroirs ou, d’ailleurs, d’autres
contrées étrangères à la culture
anglo-saxonne mainstream. C’est particulièrement le cas dans le monde Latin, où la Wicca, dans sa
version éclectique, a tendance, d’une part, à attirer les âmes éprises de polythéisme vers un mix à dominante celto-germanique et, d’autre part, à
occulter ou à déformer l’héritage gréco-romain dont ces pays sont imprégnés.
Nous en voulons pour preuve cet OVNI religieux qu’est la stregheria.
Il s’agirait de l’équivalent italien de la Wicca, appelée aussi « vecchia
religione » (« Ancienne Religion »), conservatoire supposé des
religions polythéistes de l’ancienne Italie, notamment de la Toscane antique.
Son (re)fondateur, un écrivain
italo-américain dont le nom de plume est Raven Grimassi, initié à la Wicca,
prétend se baser sur les travaux du folkloriste
américain Charles Geoffrey Leland, et notamment sur son ouvrage controversé Aradia, the gospell
of the Witches (1899). Il est cependant troublant que toutes les notices Wikipédia concernant la stregheria soient rédigées en anglais,
et que ce vocable n’existe pas dans le Dizionario
Garzanti de 1992, contrairement au terme stregoneria qui, lui,
désigne bel et bien la sorcellerie dans la langue de Dante…
Bien que le Paganisme
français n’ait pas eu à subir une telle O.P.A., il est largement à la remorque
du Paganisme anglo-saxon, et gagnerait certainement à chercher dans son
génie propre les voies de son indépendance, y compris linguistique et
culturelle. Il y gagnerait sans doute également en netteté et en hauteur de
vue, car la Wicca, surtout dans sa version « grand public », est souvent, sous couvert d’éclectisme et d’ésotérisme, le règne de l’approximation la plus délirante (dont on perçoit parfois, malheureusement, des échos dans les médias). Or,
cette confusion assumée entre imaginaire
et imaginal est particulièrement nuisible au paganisme en tant que
spiritualité polythéiste et panthéonistique, quel que soit sa couleur
traditionnelle.
En effet, la
confusion des panthéons et le règne de l’éclectisme individuel dans le choix
des divinités avec lesquelles on « travaille » pose un problème de
fond. Les Panthéons que révéraient les Anciens, quoiqu’ évolutifs et
mouvants, n’avaient rien d’arbitraire. A
l’instar du lexique d’une langue, ils enserraient dans leurs réseaux
mythico-symboliques la totalité du réel, si ce n’est en acte, du moins en
puissance. Il permettait ainsi aux cultores
d’antan d’épouser celui-ci de manière à la fois équilibrée et efficace, de même
qu’un locuteur qui, par le truchement du lexique de sa langue maternelle,
exprime de manière souple et adéquate son monde propre, tant extérieur
qu’intérieur, en accord avec ses semblables.
Bien sûr, l’architecture de ces panthéons était variable
d’une culture à l’autre et certes, on a pendant longtemps sous-estimé leur
variété, qui pouvait être étonnante, même au niveau local des cités. Mais le lexique divin et la grammaire mythique
restaient, d’un panthéon à l’autre, relativement stables et équilibrés,
structurés de manière à embrasser une totalité pertinente d’archétypes vivants.
C’est d’ailleurs la relative constance de ces structures panthéonistiques qui
permettait une certaine souplesse d’interpretatio
de l’une à l’autre, comme les langues permettent entre elles des traductions,
approximatives, certes, mais efficaces.
Or, ce n’est pas le
cas dans les Panthéons bricolés par les Wiccans où certains aspects de la
divinité sont souvent sous-représentés au détriment de certains autres qui
sont, au contraire, redondants. Ainsi, pourra-t-on trouver des adorateurs de
Bastet, d’Aphrodite et de Freyja, par exemple, ou des adoratrices d’Hécate,
d’Artémis, de Séléné, d’Arianrhod et Luna pour qui les autres divinités de ces panthéons resteront sans honneurs, voire
même, ce qui est pire, innommés. C’est un peu comme si l’on bricolait une
langue hybride formée uniquement des mots « maison »,
« huis », « house », « ti », « casa »
etc. ou qu’on y rajoutait « garage », « appentis »,
« remise » et ainsi de suite.
On est là en présence d’un des « péchés »
majeurs du Polythéisme, qui est la monolâtrie :
c’est ce qu’on pourrait appeler le « péché
d’Hippolyte ». Ce dernier était dans la mythologie grecque, on le
sait, un dévot fanatique et exclusif d’Artémis, et refusait, à ce titre, le
mariage. On sait ce qu’il advint de lui : il mourut des œuvres d’Aphrodite
outragée par son culte exclusif de la Chasseresse. Ainsi, un véritable
Polythéiste doit-il avoir à cœur de satisfaire
toutes les puissances divines, même si chacun peut, et même doit, en
privilégier certaines, ce qui constitue l’hénothéisme,
élément clé du Polythéisme vécu. La monolâtrie, au contraire, présente un
risque réel de monothéisme, sans parler du fait que tout Dieu évoqué l’est avec
tous les autres, et que les divinités sans honneurs peuvent s’avérer
redoutables.
La confusion des panthéons présente en outre le risque de maintenir l’âme du dévot dans un culte parathétique, c’est-à-dire dans une
dévotion de juxtaposition des divinités, sans compréhension profonde des liens
qui les relient, et par conséquent sans possibilité d’élévation vers l’unité
profonde qui les sous-tend. C’est un peu
comme prétendre parler une langue sans syntaxe. Or, de même que les
mystères fondamentaux du Christianisme résident dans les relations subsistantes
qui unissent les trois personnes de la Trinité ainsi que les deux natures du
Christ, ceux des Paganismes résident dans la
vie secrète, cyclique et éternelle qui relie entre elle les Puissances
Personnifiées, et tisse leur allélousie.
En empêchant toute synthèse théologique vécue, ce type de culte constitue donc un
obstacle sérieux au développement spirituel.
Seule la cohérence
d’une Tradition pratiquée depuis des siècles, et donc, par conséquent, d’une
efficacité avérée, permet de mener à bien une quête spirituelle authentique.
De plus, le côté impersonnel de ces voies traditionnelles en garantit très
probablement l’origine supra-matérielle, et, par conséquent, confirme au
cheminant que sa quête n’est pas vaine, mais conduit bien hors des méandres du
devenir. En allant d’île en île sans jamais en explorer une à fond, en effet,
on a aucune chance d’y trouver le trésor enfoui ; de même, en apprenant des bribes de tous les
idiômes, on ne maîtrise véritablement aucune langue, à l'instar du Salvatore du Nom de la Rose
d’Umberto Eco. La spiritualité ne
supporte pas la superficialité : elle affectionne au contraire la
profondeur et la persévérance.
C’est donc par la pénétration de ces Mystères, et par leur incorporation rituelle lors des Initiations
mystiques, que le Païen peut espérer dépasser son individualité profane et
mortelle et redécouvrir son Identité Eternelle, qui est divine. Or, malgré
son caractère parfois initiatique, et des rituels dont certains se rapprochent
du Tantrisme, la Wicca est une religion
sans véritables Mystères : elle ne propose pas à l’individu le dépassement de lui-même à travers l’ascèse
(quelle que soit la forme qu’elle peut revêtir), mais seulement la célébration de ce dernier à travers les pouvoirs qu’il acquiert sur le monde.
C’est là un aspect de la Wicca qui, entre beaucoup d’autres,
est particulièrement en accord avec la civilisation
post-moderne et son hyper-individualisme : son côté connecté et son
souci du contrôle par l’individu de son environnement. Et l’on rejoint là la sorcellerie et ses nombreux
points communs avec la technologie profane en tant que volonté de puissance.
Aussi devrons nous, à présent, tenter de démêler l’écheveau de ces notions connexes de sorcellerie, de magie et de religion.
Ce qu’on dénomme, depuis l’Antiquité, magie, n’est rien d’autre que la faculté naturelle de l’homme d’agir sur des plans se situant au-delà
des domaines strictement corporels et matériels de l’existence. Il s’agit
de la possibilité pour un individu de projeter son action et sa perception
au-delà de ce qu’on appelle communément le monde sensible, dans le monde imaginal, ou du moins certaines
de ses zones les plus proches du domaine corporel. La magie relève de tout
phénomène pour lequel la séparation nette et durable entre sujet et objet n’est
pas possible. Comme toutes les facultés humaines, les facultés magiques ont été intégrées à la culture depuis les origines de
l’humanité.
Etant essentiellement d’ordre perceptif et technique, ces
facultés sont, en soi, moralement
neutres, comme leurs homologues du domaine matériel. On pourrait les
rassembler sous le terme de capacités hiérotechniques, ou de technologies imaginales. Elles varient
d’un individu à l’autre et peuvent se transmettre par l’éducation. Les Anciens
les avaient qualifiées de noms variés, que les Grecs avaient globalement
rassemblés sous l’appellation de magie, empruntée
au monde Perse. En effet, les mages
étaient, dans l’ancien Iran, les membres de la caste sacerdotale homologue à celle des brahmanes de l’Inde, civilisation au demeurant très proche. Ils étaient, au
dire de nombreux auteurs, préposés aux cultes de la religion mazdéenne, et particulièrement pointilleux sur les rituels et sur la pureté que ces derniers
supposaient.
Fort de cette étymologie, nous pouvons en déduire que la
magie, en tant qu’être de culture,
n’est autre qu’une science sacerdotale,
un art sacré. Sa pratique est inhérente à toute pratique religieuse ;
en ce sens on peut affirmer que tout rituel relève de la magie. Celle-ci n’est
que l’expression dans notre vie quotidienne du métabolisme imaginal de l’univers : la poésie en est une autre, sorte de magie pratiquée par d’autre
moyens…Ainsi, la magie, base de toute action sacrée, est ici le quasi
synonyme de théurgie : à la
fois acte tourné vers le divin et acte divin, simultanément édifiant et déifiant.
Tout se complique lorsqu’on articule la notion de magie à
celles de religion et de sorcellerie. Car ici interviennent de nouveaux et nombreux paramètres :
qui pratique, sous quelles conditions, et en vue de quoi. Pour la religion, on peut dire qu’il s’agit de
la formalisation magique d’une
spiritualité, codifiée afin de permettre aux individus d’une communauté
donnée, collectivement ou non, d’entretenir
des relations régulière et satisfaisantes avec les mondes invisibles d’une
part, et de conquérir leur identité ultime, d’autre part. En ce sens, la sorcellerie, si elle est vue comme une forme de Chamanisme, est bien une religion.
La notion de religion implique donc celle d’institution et de communauté. En tant que méta-institution
mettant en relation avec une méta-société, elle suppose la recherche d’une cohésion autour d’un bien commun et
l’instauration d’un contrat, ainsi que l’élaboration d’un code partagé. Tout cela
suppose une certaine cohérence, qui
fait de la religion un tout organique
s’exprimant dans le temps par un calendrier,
dans l’espace avec un sanctuaire,
enfin dans l’espace social avec des codes
symboliques et des personnes
investies de la fonction sacerdotales, érigées ou non en caste. Trois
choses fondent donc la religion : le temple, le calendrier, le sacerdoce.
Or, rien de tout cela n’existe vraiment dans la sorcellerie,
qui est avant tout une affaire privée.
Dans son acception commune, existant dès l’Antiquité, un sorcier ou une
sorcière est avant tout un individu
disposant de certains pouvoirs qualifiés à tort de surnaturels ou prétendant en
disposer, et en usant à des fins à la fois pragmatiques et privées, pour modifier
l’ordre apparent des choses selon son désir. Ainsi, les anciennes religions
Païennes ont presque unanimement
condamné la sorcellerie, avec des nuances il est vrai. C’est également le cas pour les religions dites
« premières », comme celle des Navajos ou des Aborigènes
Australiens, par exemple.
Il est vrai qu’une certaine
ambiguïté n’est pas à exclure dans certains cas, comme celui du Vaudou Haïtien ou de ses homologues
Afro-Caribéens. Un hungan sera, par
exemple, réputé travailler « de la
main gauche » ou « de la main droite ». Mais ces activités
sont tout à fait distinctes de sa fonction sacerdotale qui consiste
essentiellement à établir un lien profitable entre sa communauté et les Loas, à dispenser un savoir divinatoire
et mythique, ainsi qu’à transmettre l’initiation. Le fait que, pour des raisons
historiques, une certaine confusion ait
été, dans ce contexte, entretenue, entre l’action magique privée et l’art
sacerdotal communautaire à précisément beaucoup
nui au Vaudou Haïtien, en lui attachant une réputation aussi sinistre que pittoresque, dont il a encore aujourd’hui beaucoup de
peine à se libérer .
En effet, l’accusation
de sorcellerie, comme celle, très proche, de superstition, à toujours servi
aux conquérants vainqueurs à stigmatiser cultuellement les peuples vaincus.
Depuis l’Antiquité, la sorcellerie est la religion
de l’autre. Ainsi les Romains
qualifiaient-ils les Marses du
centre de l’Italie de redoutables magiciens. Et ceux-ci, d’ailleurs, ne
démentaient pas cette accusation. Et pourquoi l’auraient-ils fait ?
C’était désormais la seule arme un tant soit peu efficace dont ils disposaient
contre leurs maîtres…Les peuples vaincus
ont tendance à intérioriser l’image qui leur est imposée par les vainqueurs,
pour s’en protéger par une sorte de défense culturelle passive. C’est précisément
le cas du Vaudou, de la Santeria ou du Candomblé.
Et c’est sans doute là une des clés d’explication (mais non
la seule), qui permet d’expliquer aujourd’hui le succès d’une religion sorcière (malgré la contradiction interne
que renferme cette notion). En effet, le vingtième siècle, qui vit la naissance
de cet engouement, peut être lu, du point de vue spirituel, comme le passage de la subversion de la religion à la religion de la subversion,
à travers l’éclosion de religions
subversives. La Wicca est au cœur de cette évolution, même si elle n’en
représente qu’un aspect.
Or, la Sorcière,
magnifiée dans son ouvrage éponyme par Michelet
dès le XIXème siècle et devenue ainsi une figure romantique, tombait à point nommé pour incarner cette subversion, tant sociale que sociétale et
écologique. Mais cette valence de la
sorcellerie n’est plus essentiellement religieuse, elle est devenue bel et bien
politique (au sens large du terme). La sorcellerie propose, dès lors, une sacralisation de la marginalité et de la
contestation telles qu’elles ont émergées dans les sociétés occidentales
durant les années 50 et 60.
C’est d’abord, bien
sûr, la contestation féministe de la
société patriarcale : la
Sorcière est ainsi l’image projetée de la femme puissante, savante et
dangereuse (beaucoup de ses émules « travaillent » d’ailleurs
avec des Déesses dangereuses comme Sekhmet
ou les guerrières comme la Morrigan),
capable de mettre en échec l’ordre dont elle est victime (ordre violent
symbolisé par le burning time, équivalent sorcier de l’époque des martyrs pour
les Chrétiens). De même, en tant que sagefemme
et femme sage, la sorcière contemporaine prend souvent sa revanche sur une culture privilégiant le
rationnel et le scientifique. Ainsi se réclamera-t-elle, au contraire, d’un
savoir intuitif, nocturne et lunaire, alternatif au discours
« officiel » « cérébral » et, pour finir,
« patriarcal ».
Malheureusement, exceptées quelques illustres figures de
l’écoféminisme sorcier comme Starhawk, cette mixture ne donne la plupart du
temps qu’un désolant confusionnisme intellectuel
qui, de plus, n’a qu’un impact très limité d’un point de vue militant…La
sorcellerie, comme religion de vaincus, est condamnée à la marginalité
culturelle, si ce n’est cultuelle. Or, le
Paganisme ne peut ni ne doit partager ce destin, étant, pensons-nous, la
religion naturelle de la majorité des âmes en ce monde. Il constitue,
contrairement à la sorcellerie qui n’en est que la contrefaçon parodique, une
authentique voie spirituelle, tant religieuse qu’initiatique.
Cependant, l’acception de la
sorcellerie comme religion vaincue ou religion subversive est loin d’être la
principale. Comme nous l’avons vue plus haut, la Sorcellerie est d’abord une confiscation de l’action sacrée par un ou
plusieurs individus pour leurs intérêts propres. Elle n'est, ni plus ni moins, qu'une privatisation du sacré. Elle
constitue à ce titre une sorte de parasitisme
spirituel, un détournement du sacré au profit d’individus néoténique
refusant le caractère transformant de l’institution religieuse à laquelle, du
reste, ils sont la plupart du temps intégrés en apparence.
Cela s’observe d’ailleurs particulièrement nettement dans
les systèmes monothéistes, où la sorcellerie consiste essentiellement en une inversion de la sacralité mobilisée par
ceux-ci : c’est là le sens des fameuses « messes noires » et de
tout le folklore qui les accompagnent et qui, malgré son côté granguignolesque,
n’en est pas moins réel. Il est significatif, à cet égard, que les sorcières
contemporaines aient tant de mal à se désolidariser des oripeaux satanistes
qu’on leur prête à tort : elles font un peu penser à ces Chrétiens qui se
plaignent qu’on qualifie leur religion de culte triste et morbide.
En tant que manifestation
de la volonté de puissance individuelle, la Sorcellerie fut associée au mal
bien avant l’avènement des monothéismes. En effet, le fait de vouloir modifier
l’ordre des choses à son profit, de « vouloir
décrocher la lune » (certaines formules de la sorcellerie antique
menacent en effet de faire descendre la lune, voire d’arrêter le soleil ou même
de bouleverser l’ordre cosmique dans son ensemble, comme on le voit aussi au
début du roman d’Apulée, l’Âne d’Or, avec les fameuses
sorcières de Thessalie), est aux
antipodes de la piété qui, au contraire, consiste à se conformer à l’ordre
du monde et à l’épouser pour se modifier soi-même en se grandissant. Aussi, les Polythéismes antiques, notamment Grecs
et Romains, ont en général condamnée la sorcellerie.
Tout se passe comme si le sorcier, à l’inverse du théurge, cherchait à réduire les Dieux à sa propre stature
pour en faire des animaux domestiques, alors que ce dernier cherche au
contraire à se hausser à la taille des Dieux en perdant son caractère animal
(ou en le sublimant). Ainsi, la sorcellerie constitue bien une inversion :
inversion de la sagesse d’une part,
et inversion de la sacralité cosmique du sacerdoce, d’autre part.
L’inversion de la sagesse se lit dans l’attitude morale du
sorcier : alors que le Sage, et notamment le Stoïcien, fonde se sagesse
sur l’Amor fati, c’est-à-dire qu’il apprend à vouloir ce qui lui arrive afin de se conformer au Destin, le
Sorcier au contraire met tout en œuvre
pour qu’arrive ce qu’il veut, c’est-à-dire prétend infléchir le destin à ses intérêts, un peu comme l’homme moderne
qui, par sa technologie, n’hésite pas à sacrifier son environnement sur l’autel
de son confort personnel. Cette machination, cette instrumentalisation du réel
relève du pouvoir ; or, le pouvoir s’est toujours défié de la sagesse, et
la sagesse, du pouvoir. Assurément, si une démocratie magique voyait le jour,
on peut gager qu’a court terme, plus personne ne mangerait à sa faim, car il
ferait toujours « beau » !
C’est là la goétie de
l’égo, qui inverse les rapports
naturels de la partie et du tout : au lieu de conformer la première au
second pour l’y intégrer et, ce faisant, la transfigurer en en faisant l’image
vivante de la totalité, le sorcier prétend au contraire asservir la tout à la partie, en détournant les lois de l’ordre universel au profit d’un désordre
particulier, partial et partiel. Ainsi, lorsque le sorcier lance un sort,
il exerce sur autrui un véritable viol
spirituel dans la mesure où il prétend contrôler ou modifier autrui, souvent
à son insu, et contre sa volonté, toujours. C’est donc à une tyrannie arachnéenne que nous avons
affaire.
Qu’il existe une sorcellerie
« blanche » n'y change rien, car elle n’est que l’antidote
à ce poison spirituel, sans lequel, d’ailleurs, elle n’existerait pas. Il est
significatif à cet égard que les sorciers et sorcières ont, de tout temps, été
réputés empoisonner les sources :
en grec, Pharmakon signifie à la
fois poison et remède. L’action sorcière, relevant du venin de l’égo, est bien toxique, dans la mesure où elle a
tendance à empoisonner les sources de la
magie. Or, si l’efficacité de cette dernière est tenue pour réelle, au même
titre par exemple que celle d’un arc (toxos), rien n’empêche qu’elle soit
d’abord mise en œuvre dans un sens
offensif plutôt que défensif. Penser le contraire serait aussi naïf que de
croire que les armes furent inventées pour protéger la veuve et l'orphelin.
Contribuant donc à accentuer le divorce entre la partie et
le tout, la sorcellerie se présente également comme l’envers de l’alchimie, qui est la science de la sacralité matérielle, et, à ce titre, la chimie du sacrifice en tant que base opérative de
toute religion authentique. En voulant, en effet, transformer le monde
extérieur sur le modèle de leur intériorité pour en renforcer les
caractéristiques égotiques, les sorciers agissent à l’inverse des alchimistes
qui acceptent, par l’humble travail sur la matière, de se transformer eux-mêmes
pour s’identifier à l’univers dont ils ont suivi la loi à l’instar celle d’un
maître.
Or l’alchimie, comme ontochimie, n’est autre que la
science du métabolisme cosmique de
l’être, science à la fois médicinale et musicale qui est à la base de toute
action sacrale, autrement dit de toute pratique religieuse. Lorsque le prêtre
contribue à célébrer les noces du ciel
et de la terre, le sorcier, lui, attise en sous-main leur scène de ménage, en fomente le divorce et, à terme, la
désagrégation du Tout que le culte avait contribué à unir. Si la sorcellerie procède
parfois à des sacrifices, c’est accidentellement, dans un but essentiellement utilitaire et
privé : c’est donc plutôt un dé-sacrifice
qu’elle accomplit. On retrouve-là la logique
d’inversion, de profanation.
Car son action est, en
effet, fondamentalement profane, et c'est pourquoi l'idée d'une religion sorcière est une aporie. Le sorcier agit sans aucune
cohérence préalable, qu’elle soit calendaire ou théologique, mais au coup par
coup, par expédients. Ses actes anecdotiques ne
visent que des buts pragmatiques relevant
du domaine hylique ou, au mieux, psychique : tout ce qui relève de l’intelligible lui est étranger. Son action
ne s’inscrit d’ailleurs dans aucune weltanschauung et ne relève d’aucune véritable perspective
eschatologique ou métaphysique. Il bricole,
fomente et manigance quand le prêtre œuvre, célèbre et accomplit. Son
activité est bien un travail, au sens moderne et profane du terme, à savoir une
œuvre déchue et désarticulée, une action déserticulée et dénuée de toute
pureté ; il agit dans et par la
poussière, et non par la lumière, en vue du cristal. Le sorcier se livre à
l’œuvre de Typhon, dans la mesure où il n’ajuste rien, mais, au mieux,
« arrange ».
On comprend mieux dès lors pourquoi la sorcellerie, et la
pratique individuelle de la magie en général, sont considérées par plusieurs
voies traditionnelles comme des obstacles
à la progression spirituelle. C’est notamment le cas dans l’Hindouisme où il est nettement spécifié
que l’acquisition par le Yogi de facultés (siddhi) paranormales disperse l’âme
et nuit à l’ascèse en renforçant
certaines dispositions subtiles de l’égo. En effet, un praticien ayant
acquis ces fameux pouvoirs, même s’il s’en sert pour le « bien », est
tenté d’en abuser et, surtout, de croire à tort qu’il est arrivé au terme de la
Voie qu’il s’est assigné. Il développera des potentialités inférieures de son
être au détriment de la poursuite de son élévation, un peu comme ces arbres
qui, au lieu de s’élancer vers la lumière du ciel, dispersent leur sève dans
des branches basses.
Platon condamnait
également la magie pour des raisons analogues ; une certaine lecture des mythes Grecs permet en outre de mettre en
évidence ce type d’enseignement. L’épisode de Calypso, par exemple, où l’on voit Ulysse repousser les facilités
que lui propose la Nymphe d’Occident s’il reste éternellement avec elle, dans
la vie occulte (calypsô = la cachottière), est significatif. Il préfère
continuer à affronter les périls de la mer pour retrouver l’amour de son
épouse, dans la vie quotidienne. A son image, votre serviteur n’est qu’un
Monsieur Jourdain de la magie : il en fait sans le savoir, et tient pour
probable qu’elle n’est pas autre chose qu'une poésie
opérative. La véritable magie n’est sans doute pas à chercher ailleurs que
dans la Nature.
De même, poussé par cette
vaine curiosité qui nous rend friand d’extraordinaire, d’insolite et de
merveilleux, et dont nos contemporains sont plus que jamais friands, Lucius, le jeune héros écervelé du
roman d’Apulée cité plus haut, en
vient à fréquenter les sorcières de Thessalie. Mal lui en prend : l’une
d’entre elle, en lieu et place des savoirs extraordinaires auxquels il
aspirait, le transforme en âne. Ce n’est qu’après d’innombrable tribulations sur
les routes de l’Empire qu’il finira par trouver le salut grâce à Isis, la…magicienne suprême !
Car les Anciens en général, et les Grecs en particulier, n’ont pas négligé, dans leurs mythologies, la question de la magie et même de
la sorcellerie. Les Egyptiens, pour
commencer, nous rappelle que la Magie
est une puissance fondamentale, étant d’abord l’apanage des puissances
divines et, de fait, l’une d’entre elles. En effet, dans leur allélousie,
les divinités sont toutes ensembles la totalité de la
Puissance et l’un de ses aspects. C’est Héka,
la puissance magique personnifiée,
dont Isis est le vecteur le plus
efficace en tant que Ouret-Hékaou,
« Grande en Magie ». Elle
a d’ailleurs acquis cet immense pouvoir par un stratagème qu’on pourrait, par
ignorance, qualifier de manipulation.
Mais ce serait faire preuve d’une bien courte vue, car ce
serait oublier que les Dieux, pour
anthropomorphes qu’ils nous paraissent tant par nécessité que par providence,
ne sont pas des individus. Leur magie ne relève pas de l’action
calculée, et n’a rien d’une machination : elle est le résultat spontané
de leur rayonnement créateur. C’est pourquoi le mythe égyptien nous enseigne
que, si tous les Dieux sont des puissances magiques (la magie émane, à
l’origine, de leur Père, Rê), l’un
d’entre eux est la magie en tant que puissance. C’est là ce que les Indiens ont
appelé Mâyâ, la Puissance de la
manifestation en tant qu’Illusion, la Puissance de fascination du phénomène en
devenir, dans son perpétuel écoulement bigarré. Et cette Magie cosmique n’est autre qu’un jeu : jeu sexuel et
créateur que la Divinité joue avec elle-même.
Si cette Magie divine
semble aux antipodes de la sorcellerie, c’est d’une part que, comme nous
l’avons évoqué plus haut, les Dieux ne sont pas des individus, d’autre part
parce qu’au niveau mythique, c’est une question
de perception qui différentie les deux. En effet, pour un individu, par définition limité, la Providence peut prendre un aspect sombre
dans la mesure où elle s’oppose à ses désirs. Ainsi, elle prendra la forme
funeste de la Nécessité et sera
volontiers personnifiée par une image sinistre évoquant le maléfice et la
transgression. Et Mâyâ se changera en la
terrifiante figure de Kâlî, la Puissance de destruction du Temps. A cette
Nécessité cosmique, l’individu opposera alors volontiers une contre-magie, solution de facilité consistant à
répondre à la division par la division, au diabolon
par le diabolon. Ainsi, le recours à
la magie est le plus souvent un aveu d’impuissance métaphysique, un refus de la
Totalité.
Dans le monde Grec,
plusieurs figures mythiques peuvent répondre à cet archétype. Outre Ananké, la Nécessite, trop abstraite
pour que nous nous y attardions, on trouve bien sûr la personnalité immense et
extrêmement complexe d’Hécate.
D’origine solaire, mais elle-même lunaire, Divinité primordiale exerçant sa
puissance sur le cosmos dans sa totalité, et particulièrement maîtresse de ses aspects occultes et
inquiétants, elle est, entre autres, la Dame des spectres et la Patronne des sorcières. Celles-ci ont donc,
dans le cosmos Grec, toute leur légitimité… Mais cela ne saurait les instituer
comme archétypes d’une normalité religieuse, pas plus, par exemple, que les
voleurs, dont Hermès est le saint patron, ne sauraient constituer le paradigme
politique de la cité.
Quant à Médée et
à Circé, à la jonction du divin et
de l’humain, elles nous donnent à voir de manière exemplaire les aspects de la sorcellerie en tant que
développements possibles du destin individuel. Les deux, d’ailleurs,
mettent en scène les rapports du masculin avec le féminin puissant, comme en une une sorte de revanche. Circé réduit les hommes bestiaux à ce qu’ils sont
réellement, et l'illustre Médée se venge des avanies que le médiocre Jason lui fait subir. Leur
sorcellerie est donc, d’une certaine manière, la préfiguration de l’aspect politique de la sorcellerie moderne dont
nous parlions plus tôt, mais sur le plan archétypal.
Toutes ces figures mythiques nous montrent sans ambigüité
que la magie, et en particulier la
sorcellerie, sont des composantes incontestables du Cosmos tant il est vrai que celui-ci
n’est jamais, en définitive, qu’une apparition. En tant que réalisation dans
l’être de possibilités de manifestation, il est en lui-même une chance, un sort jeté, en quelque sorte, au Chaos.
A ce titre, sa perfection ne peut, paradoxalement, exclure une part
d’imperfection pour être complète. Au
cœur même du Cosmos, c’est le bouillonnement occulte du chaudron du Chaos qui
en fait un vivant, le vivant,
« seul de son espèce ». Sans ce désordre providentiel jetant sur
lui son ombre, le Cosmos ne serait qu’une statue sans vie, momifiée dans sa
perfection inerte. Et cette goétie
créatrice est, précisément, sorcière.
La divinité qui
assume le mieux ce merveilleux paradoxe est sans contexte Dionysos, le
Bruyant, le Seigneur de la Pagaille.
C’est par lui qu’arrive le bienheureux scandale qui fait de ce monde un monde et
non une étude de notaire. Par son divin
délire, il délie les êtres du corset oppressant de la Nécessité, et permet
à tout un chacun, pris dans ses contradictions et sa médiocrité, d’entrevoir
dans la pourpre du vin et les brillants artifices du théâtre la lumière soudaine de la
Providence. Le vin, qui est son manteau, est la sagesse du profane, et la fête,
la méditation du peuple. C’est Liber qui
porte en lui la force créatrice de la subversion et qui lui donne sa
dimension sacrée, c’est lui qui nous montre la voie transgressive comme promesse de l’extase unitive.
Mais il ne ment jamais : en tant que Dieu liquide, il ne
se donne qu’a qui est capable de le recevoir, sinon, il déborde. Ses mythes ne sont pas des
feuilletons pour teenagers en quête de sensations, et son évangile n’a rien d’un guide de développement personnel. Il y
a, dit-on, beaucoup de porteurs de thyrse, et peu de bacchants (Platon, Phédon 69c) : car
participer à la quiddité du Dieu exige ce que la sorcellerie ne prescrira
jamais : célébrer le sacrifice de soi-même, renoncer gaiement à son propre
moi, et, finalement, se jeter à soi-même un sort.
Dionysos est
l’opérateur du grand désenvoutement, celui qui libère la personne (personna
était, en latin, le masque de théâtre) d’elle-même en l’ouvrant vers l’Infini.
Mais pour que celle-ci en vienne à célébrer ces noces éternelles, il faut que
l’individualité soit morte en elle. C’est ainsi qu’Ariane abandonnée par Thésée épousa en Dionysos son identité ultime,
et que Sémélé fut foudroyée pour
accoucher dans l’incendie du Soi d’un enfant éternel.
Aussi, plutôt qu’une religion
sans sagesse ni mystères, c’est-à-dire finalement une non-religion, c’est à celle des Ménades que convie, nous semble-t-il, l’appétit légitime de liberté
et de puissance des sorcières contemporaines. Car elles sont bien peu attirées
par les sorts et les poisons, mais aspirent bien plutôt à la connaissance, à
la guérison et à l’œuvre sacerdotale. La
sorcellerie dont se réclame la Wicca relève donc plutôt du chamanisme que de la
magie noire, et ressortit de l’œuvre de l’Abeille plutôt que de celle de la Mouche.
Les Ménades qui
dansent leur extase dans le cortège bacchiques, ces guerrières dont les armes
sont les thyrses verdoyants et les montures des tigres bondissants, sont bien
plus adaptées à ces désirs-là que les jeteuses de sort que l’Âge classique à
tragiquement mise en exergue. Tournoyant dans la joie absolue de leur souverain
sacerdoce, leurs jupes épousant les orbes du cosmos au rythme de leur propre
cœur, elles nous lancent en souriant cet oracle : être Païen, c’est pas sorcier !
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