samedi 10 novembre 2012

Sacerdoce Païen ?

J'ai eu récemment le plaisir de partager une discussion avec des amies Païennes sur le problème du sacerdoce dans le Paganisme contemporain.

A l'occasion de ce dialogue, j'ai pu constater à travers leurs propos combien cette notion de sacerdoce Païen pouvait susciter d'attentes et d'exigences : la fonction sacerdotale, en effet, était parée sous la plume de mes interlocutrices de tant de vertus qu'il me semblait impossible qu'une seule personne put rassembler en elle même toutes les qualités requises pour exercer la prêtrise.

Jugez-en plutôt : un prêtre ou une prêtresse devrait faire preuve d'un "amour de la connaissance et du débat", d'intégrité, de sensibilité, de douceur ; il ou elle devrait en outre savoir rester neutre dans les conflits d'égo qui agitent le microcosme néopaïen,  ayant à coeur les intérêts supérieurs de sa communauté tout en éprouvant du plaisir à remplir sa fonction ; être suffisemment stable et épanoui dans sa vie personnelle pour inspirer autrui et susciter un questionnement chez ses interlocuteurs, servir d'exmple et de guide et être le garant de la continuité de la tradition, tout en permettant la réalisation de nouveaux projets, et j'en passe...

Il fut rapidement convenu qu'une seule personne ne pourrait jamais rassembler en elle même toutes ses qualités, et il fut dès lors évident que le sacerdoce Païen (si tant est que cette notion était pertinente) ne pouvait que se présenter sous la forme d'un "réseau".

L'énumération des qualités requises pour la prêtrise m'a semblé alors pouvoir se résumer en trois fonctions fondamentales, aisément identifiables et pouvant être confiées à des personnes distinctes, pour des périodes elles mêmes déterminées, sortes de mandats sacerdotaux :

  • Le sacerdoce se présente d'abord comme une compétence essentiellement rituelle, tant il est vrai que nos religions sont d'abord des observances basées sur l'orthopraxie et non sur l'orthodoxie comme c'est le cas pour les Monothéismes Bibliques. Cette expertise rituelle, quasi technique (car qu'est-ce qu'un rituel sinon une technique sacrée ?) nécessite une grande compétence dans une tradition donnée, doublée d'une grande sensibilité, d'un instinct quasi artistique pour le fait rituel et magique. Si je veux m'adresser à Odin, par exemple, le mieux est sans doute de m'adresser à un godi confirmé.

  • Mais la prêtrise consiste aussi, indéniablement, à exercer au sein d'une communauté une certaine autorité spirituelle (bien distincte, évidemment, d'une puissance temporelle, comme l'a mis en évidence René Guénon dans un ouvrage éponyme), et, a fortiori, morale. C'est là le côté guide, conseiller, l'aspect "vieux sage"ou "vieille sibylle", dont l'ascendant sur sa communauté provient d'une longue expérience, reconnue et consacrée de manière plus ou moins formelle par cette même communauté. On peut parler ici de "prêtrise" au plein sens du terme, sachant que le mot, en français, provient du Grec presbus, l'Ancien. C'est là, également, le côté le plus "chrétien" de la fonction sacerdotale...

  • Enfin, il y a le cas spécifiquement Païen de celles et ceux qui se sont voué(e)s à telle ou telle Divinité, dont ils tendent de toutes leurs force à se rapprocher pour participer à ses vertus providentielles. On peut dire dans ce cas que de telles dévôts deviennent les représentants de leur Divinité d'élection en ce monde, leurs représentants mystiques ici-bas. Si leur ascèse (au sens premier d'exercice spirituel, et non de privation mortifère) le permet, ils peuvent devenir parmi nous comme des images vivantes des Dieux et des Déesses et nous communiquer par leur simple présence le rayonnement qu'ils reçoivent de leur source divine. Cette fonction pourrait être qualifiée de mantique, de pythique ou, mieux encore, d'agalmatique.
Il s'agit pour nous de savoir articuler ces trois fonctions distinctes, à savoir l'expertise rituelle, l'autorité spirituelle et la représentation mystique. De même qu'en démocratie, les trois pouvoirs fondamentaux se doivent d'être équilibrés, de même, dans un communauté d'observance, ces trois fonctions sacrées doivent être bien distinguées pour être correctement exercées.

Dans la tradition Gréco Romaine, où les problématiques sacerdotales et politiques furent toujours plus intimement mêlées que dans tout autre tradition pré-chrétienne, les sacerdoces étaient organisés de manière singulièrement complexe. La prêtrise en effet s'exprimait essentiellement sous la forme de magistratures temporaires et permutables, en charge d'une mission précise (bien qu'il y ait eu des sacerdoces viagers et héréditaires). A Rome, point de classe sacerdotale comparable aux Brahmanes de l'Inde Ancienne : les prêtres sont regroupés au sein de collèges sacerdotaux ; les Flamines étant dédiés au service d'une divinité particulière, les Pontifes  spécialistes généralistes du sacré, et d'autres encores occupant une fonction plus particulière (les Augures en charge de la mantique, etc.)

Si j'avais, personnellement, à instituer dans une communauté d'observance Païenne un sacerdoce, je distinguerais probablement un ordre pontifical, chargé des questions rituelles, un ordre flaminical, chargé du service des différentes divinité, et probablement un ordre initiatique où chaque confrérie mystique s'organiserait sous la conduite de quelque hiérophante...

Mais encore faut il savoir ce qu'est une communauté Païenne et ça, par Zeus, c'est une tout autre histoire !

2 commentaires:

  1. j'émettrais quelques remarques rapides...

    Sur le second point:
    Avant qu'il y ait autorité, il faut d'abord qu'il y ait reconnaissance par la communauté. Tu l'évoques à moitié, mais cela me parait un fondamental, car c'est la communauté qui s'en remet à lui et le fait dépositaire d’une charge en son nom.

    Sur le troisième point:
    Là, c'est un phénomène relativement récent apparu avec des dérives de la wicca.
    Chez les anciens, une telle personne intègrerait un clergé et on sortirait de cette configuration.
    Là, de nos jours, ce serait considérer une prêtrise hors tout contexte sacerdotal ou communautaire. Mais plus grave, il s'agit bien souvent d'une considération égotique de se définir comme prêtre(sse) au lieu de simple adorateur/disciple/adepte d'une divinité particulière. Un autre signe de cet aspect égotique est lors la confrontation à des adeptes de religions natives/historiques, où on s'aperçoit que le savoir et la connaissance sont peu profonds et restent sur des considérations personnelles de cette divinité et non un savoir recherché et travaillé.

    Ce qui m'amène à ton avant-dernier paragraphe:
    Pour installer (je préfère "installer" à "instituer", car se serait poser la communauté comme une institution en elle-même), le point de départ serait de trouver le point d'entente de cette communauté et qu'elle se détermine elle-même. Dans cette phase de détermination, il est même probable qu'elle perde une bonne partie de ses membres potentiels par désaccord, ce qui s'amplifiera au moment où il y aura attribution des charges.

    Au fait:
    Bises et bonne continuation pour ton blog...

    Rox.

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    1. Merci pour tes remarques très pertinentes et pour tes encouragements, Penthesilée !

      Pour ce qui est de la reconnaissance de l'autorité sacerdotale par la communauté, tu as tout à fait raison, et cela me semble aller de soi dans une société démocratique. C'est pourquoi j'utilise l'expression "mandat sacerdotal". Cela permet entre autre d'éviter les dérives sectaires, et c'est tout à fait conforme à l'esprit rationnel et à la saine méfiance des Grecs et des Romain envers tout hiérophante autoproclamé.

      Pour ce qui est du caractère moderne et "wiccan" de la consécration personnelle à une divinité, je ne suis pas sur d'être d'accord, en revanche. Il me semble que l'Egypte ancienne connaissait ce genre de "mariages" mystiques ; en tout cas, c'est patent dans l'Ane d'Or d'Apulée, où Lucius se dévoue corps et âme à Isis.

      C'est également le cas dans certaines religions plus récentes, mais pour lesquelles j'ai un grand respect et que je tiens pour "païennes" au sens large du terme : le Vaudou Haïtien ou le Candomblê Brésilien.

      Enfin, je ne doute pas que la formation d'une communauté cultuelle soit très délicate, et ce sera d'ailleurs l'objet d'une prochaine publication de ma part !

      Salutations,

      Demetrios

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