L’Abécédaire du Petit Père Païen
I comme Intellect, Intériorité, Invisible, Âme
Dès que l’on se propose d’aborder l’intériorité de l’être humain en ses multiples dimensions incorporelles,
on est rapidement confronté au problème de l’imprécision
du vocabulaire, qui glisse très souvent dans le flou le plus complet. Les
mots désignant notre monde intérieur, en effet, semblent
interchangeables : combien de textes sur la question confondent-ils l’âme avec l’esprit, ce dernier avec l’intellect,
voir le souffle, le mental ou autre double psychique ?
Mais le flou et la confusion atteignent leur paroxysme
lorsqu’on aborde le sujet de la spiritualité.
Celle-ci est allègrement mise à toutes les sauces, si bien qu’une Bastet (qu’Elle me pardonne) n’y
retrouverait pas ses petits, toute Déesse qu’Elle est ! Tout un chacun se
réclame de cette si désirable spiritualité, la parant de tous les attraits
possibles, ayant bien soin de l’opposer, comme il se doit, à tous les
repoussoirs possibles : ainsi, la répugnante religion lui sert-elle couramment de faire valoir, à tel point
qu’on peut voir à ce propos des tableaux comparatifs, comme dans les magazines
de bien-être ! Parfois, assimilée à l’âme, la spiritualité est même décrite comme l’inverse de l’égo, ce
pervers narcissique préféré de l’ésotérisme consommatoire, véritable Egodzilla ! On est
là, faut-il le dire, au comble de la confusion.
Il va de soi, pour nous, que cette confusion relève des conditions crépusculaires où se trouve
reléguée notre actuelle humanité. Aussi nous semble-t-il utile d’apporter
quelque clarté dans cette ménagerie de
chimères.
Dans l’article précédent, nous avons évoqué la triplicité ontologique constitutive de
l’être humain : corps, âme et
esprit. En français, ces trois termes correspondent respectivement au latin
corpus,
anima
et spiritus, qui eux-mêmes traduisent les termes grecs sôma, psuchê, noûs. Il convient de
s’intéresser d’abord à ces séries de trois termes, en examinant
quelles sont les relations
qu’entretiennent les trois entités qu’ils désignent, et ce qui les distingue.
Étant donné notre condition d’individus incarnés, force est
de constater, tout d’abord, que deux de ces termes nous confrontent à une
certaine difficulté : si le corps
est facile à appréhender parce qu’il tombe sous le sens et parce que nous
en « habitons » un, l’âme et
l’esprit sont des réalités bien plus problématiques, à tel point,
d’ailleurs, que nombre de nos contemporains règlent le problème en en niant
tout bonnement l’existence.
Nous ne parlerons que peu, dans cet article, de la manifestation corporelle de l’être
humain, si ce n’est dans ses relations à la condition psychique dont elle est la résultante nécessaire. Ce que
nous percevons tous d’autrui et ce qu’autrui perçoit de nous à son tour comme le
corps n’est en réalité qu’un corps, et, plus précisément, le dernier d’entre eux, aboutissement
final d’un processus complexe de
concrétion et d’extériorisation progressives d’une substance dont, pour la
grande majorité d’entre nous, nous n’avons aucune idée. Il s’agit là du corps ostréeux,
comme l’appellent les Néoplatoniciens, marqué par la sénescence, la dégradation
et la mort, ultime naufragé d’un drame
invisible dont l’origine nous est antérieure et dont l’enjeu dépasse infiniment
notre condition présente.
Quant à l’âme,
aucune réalité n’est aussi polymorphe ni
protéiforme : il est difficile et risqué de se la représenter, car on
tombe facilement dans de fausses représentations en appliquant aux incorporels
les catégories du corps qui nous sont familières. De plus, le terme qui la
désigne est un véritable aimant sémantique, et peu s’en faut que l’âme ne finisse par désigner toute réalité dont la
subtilité excède nos capacités langagières : elle serait presque
devenue un synonyme du je-ne-sais-quoi, un
impondérable…bref, ce petit rien qui donne à toute chose un supplément d’elle-même, en somme !
En appréhender le sens est si difficile qu’on s’est évertué
à la situer, à la quantifier, cherchant même à la peser, avouant par cet acte
même notre impuissance à la comprendre, mais, en même temps, posant la première
pierre d’une perception négative : l’âme étant incorporelle, son étude ne peut être abordée qu’avec l’aide de l’analogie et par la pensée symbolique. Nous ne disposons que de
ses effets et ne pouvons la percevoir directement à partir du corps, sauf à
nous placer nous-mêmes à son niveau
épistémique.
Quant à l’intellect !
Encore un qui n’a pas bonne presse dans les milieux ésotéristes et néopaïens,
où il est synonyme de chicanes et de
discussions byzantines, souvent associées d’ailleurs à l’égo si unanimement
décrié par le chœur des…égos. Car on le confond à tort avec le petit singe ergoteur qui se balance
frénétiquement sur son perchoir intérieur, ce bavard impénitent qui nous
rappelle à chaque instant que nous nous devons d’avoir un avis sur tout.
Tout le monde en parle, mais personne ne le connaît vraiment.
C’est qu’il est tellement subtil ! Il se manifeste d’abord dans notre pensée, dont il est la cause, et dans
nos langages, dont il est le fondement
unique sans pour autant se confondre avec eux, car il est en lui-même ineffable. C’est lui sans
doute qui nous pousse à cette quête
dont nous méconnaissons bien souvent le but, quand nous n’ignorons pas la quête
elle-même ; c’est lui aussi qui, pour cette même incitation, est à l’origine de notre verticalité, parce
qu’il tend notre existence vers ce qui
la dépasse ; c’est lui encore qui étale sous nos yeux les symboles et les synchronicités dont notre
âme est si friande, et qui nous plonge parfois dans le bain de cette indicible et inaltérable joie, semblable au
ciel d’or des icônes, où nous nous écrions silencieusement « chevreau, je suis tombé dans le lait… ».
Rien à voir, donc, avec le mens, ce comptable mesquin, ce concierge
de la conscience qui surveille nos vies et qui, tel l’Ascalaphos de la Fable, dénonce tous nos faits et gestes pour que
nous restions au pouvoir de son Ténébreux Maître…
Corps en terre, âme
en éther, esprit éternel : telle est donc la formule fondamentale de
l’Homme. Mais quels rapports ces trois instances entretiennent-t-elles les unes
avec les autres ?
D’abord, chacune de ces trois entités résulte de l’autre, et
en est la nécessaire manifestation à son propre étage ontologique. Chacune succède à l’autre dans un ordre
descendant, de la simplicité à la complexité, de l’implicite à l’explicite,
du caché au manifeste et de l’intériorité absolue à l’extériorité maximale.
D'abord, l’Intellect
imite et limite l’Un dont il essaie en vain de se saisir : c’est le
sens que les Néoplatoniciens donnent à l’épisode mythique de la castration
d’Ouranos. L’âme, à son tour, essaie de circonscrire la totalité, et d’expliciter
l’éternité de l’Intellect au prix d’une spatialisation de l’être en
existence, d’une spécialisation du sens en figures, et du déroulement indéfini
de l’éternité en temps. Enfin, le corps, dressé en une éphémère tension hors de la matière, déferle comme une vague en son
impuissant élan vers l’âme, pour venir mourir sur le sable matériel, retournant
ainsi à la pulvérulence dont il est issu.
Si l’Intellect, ou Noûs,
est absolument inétendu, l’âme est
une entité intermédiaire, inétendue dans
son étendue, ce qui lui permet d’émettre des corps, qui, eux, sont exclusivement étendus. Le même classement
peut être fait en prenant pour critère
l’un et le multiple : l’Intellect étant essentiellement un, l’âme à la
fois une et multiple et le corps intégralement multiple.
Fig.1 : Situation médiatrice de l’Âme sur la Sphère
Ontologique.
Ainsi l’Intellect
est-il premier, tant dans l’ordre ontologique que dans l’ordre
génétique : il est à la fois antérieur
et intérieur à l’âme qui, quant à elle, en tant que réalité dérivée, occupe
une place médiane entre la matière et l’esprit, entre le pesant et le pensant.
Elle trouve donc son origine dans l’Intellect, qui est son axe générateur et structurant.
Par rapport à l’âme, l’Intellect est absolument stable et immobile : cette immobilité et cette
stabilité dans l’être est appelée éternité.
Il n’est pas sujet au changement et contient en lui toutes choses, car il est synonyme d’être en sa totalité. Cette
totalité indivise est, pour ainsi
dire, quasi ponctuelle et absolument silencieuse, car elle est saisie simultanément, intégralement et
instantanément par l’Intellect en tant que Sujet Absolu, autrement dit comme une Personne connaissant intégralement sa Nature à laquelle elle reste
perpétuellement unie, tout en en étant distincte.
Ce sont ces caractéristiques théologiques qui ont sans doute
amené les Anciens à personnifier l’Intellect (car il nous est impossible de
nous le rendre présent, sinon en le personnifiant, en le nommant et en le
figurant) sous les traits du Dieu Kronos,
l’époux de la Déesse Rhéa, dite,
quant à elle, Source universelle de vie,
Nature Primordiale et Mère des Âmes, selon notre sage
Empereur Julien le Philosophe.
Or, cet Intellect, qui nous semblait immobile, est pourtant animé d’un certain mouvement,
d’où découle son être même. Il est né en effet du désir qu’éprouve éternellement l’Un sans second de se connaître
lui-même. Voulant se saisir lui-même, l’Un se dédouble et s’envisage comme
Autre, provoquant ainsi un écart entre lui et lui et une fuite de lui en lui,
car il ne peut en aucun cas être saisi, ainsi que l’enseignent les Oracles Chaldaïques (3,1) « le
Père s’est soustrait à Lui-même ». La résultante de ce désir à
jamais inassouvi est un mouvement
circulaire de l’Intellect autour de l’Un, comparable au vol d’un aigle dans
l’azur sans limites. C’est ainsi que naquit la première contemplation, celle du Circaêtre, et que vinrent
simultanément à l’existence l’être,
la vie qui en est le mouvement, et
la conscience qui en est la
perception.
L’être, la Vie et la Conscience sont les trois dimensions de toute nature. C’est
donc en cette contemplation primordiale
de l’Un par lui-même que le monde trouve son origine. Il est né d’un désir
inassouvi, et c’est sans doute pour cela aussi qu’Orphée a placé Éros, le
Désir, à l’’origine de toutes choses en l’appelant Phanès,
l’« Apparent », ou Protophane, le « Premier
Apparu ». Or, ce Désir originel,
qui est absolument unique et infini, est tout
entier en chacun de nous : l’amour
de Dieu qui est en moi est le Dieu Amour en moi ; l’intelligence que
j’ai de Dieu et l’intelligence que Dieu a de moi ne font qu’une, la Sagesse, qui est le nom originel de l’âme comme projet de
l’intention divine et projection de son désir. Mais qui est « moi » ? Assurément pas celui qui
écrit, mais plutôt Celui qui le fait écrire. Nous reverrons ce point avec plus
de précision tout à l’heure.
La Personne et sa
Nature forment donc, nous l’avons vu, un couple inséparable et primordial,
qui est aussi celui de l’Intellect et de
l’Intelligible. Or, ces noces parfaites de l’hypostase et de la physis
sont comparables à une combustion intégrale qui ne dégage aucune fumée,
mais d’où émane une clarté illimitée, qui est la « matière » dont est formée l’âme, en tant que plérôme des idées éternellement conçues
en elle par l’Intellect. Cette âme
prototype, intellectuelle, faisceau intégral des énergies divines, n’est
autre que l’Âme du Monde, dont
dériveront plus « tard » les âmes
particulières. C’est d’elle également que découle la nature universelle,
éternellement unie à son Époux Divin, l’Intellect envisagé comme Dieu des Dieux
et Pôle de l’Être.
Et, comme ce Dieu
innommable est en même temps le Dieu
innombrable, il s’ensuit que l’Intellect
est présent tout entier à toute âme et à chacune, dans la mesure où il n’est
présent à aucune exclusivement. C’est ce que les Indiens ont sans doute
voulu signifier dans ce mythe où le Dieu Krishna,
qui danse avec toutes les bergères, n’appartient pourtant à aucune, quoique
chacune croit l’avoir pour amant exclusif.
Fig. 2 : Krishna et les Bergères : le Rasa Lila.
Tel un amant infiniment fécond, l’Intellect pénètre l’Âme du Monde et la féconde en venant y
déposer sa semence incandescente,
celle de l’Identité suprême ou de la
Conscience Indivise. C’est ce germe divin qui, ultérieurement,
engendrera cet enfant terrible de la
pensée qu’est le Mental, ou conscience individuelle limitée, abusivement
identifiée à l’ego (c’est là, sans doute, la première identité
malheureuse !). Mais originellement, cette semence ignée disposée au centre de la sphère intellective
constitue le noyau énergétique de l’âme et en détermine la tectonique par ses
mouvements de convection
.
Cette étincelle constitue le Je de l’homme, parfaite
réplique du Dieu suprême dans l’ordre du singulier : c’est en cette flamme
que ce dresse la Personne humaine,
le MOI illustre, petit Jupiter qui reflète le Grand, Iuppiter
Optimus Maximus (I.O.M.), en
sa dimension héroïque et impériale.
En ce cœur psychique, il se tient à la
fois immobile et en mouvement permanent, tellement rapide qu’il en résulte
un paradoxal repos, comparable en cela à l’éclair
de Zeus, le Seigneur des Âmes.
De plus, cette étincelle
divine présente au cœur de l’âme peut être considérée comme la Raison Suprême, la pensée pronoïaque
de la Totalité, exact inverse de la pensée paranoïaque
de l’égo, que symbolise la tête de Gorgone qui orne l’égide d’Athéna. Cette Raison Suprême se
personnifie en la Déesse aux Yeux Pairs,
la Sagesse pérenne de Zeus,
jaillissant perpétuellement du front divin en tant qu’Intellect engagé dans la nature. Aussi, l’Âme du Monde, en
perpétuelle gestation d’une Athéna toujours native, peut-elle être considérée
comme intégralement sapientiale :
tout en elle est en acte, rien n’est inaccompli ni imparfait, rien absolument
n’est dépourvu de conscience, et rien ne manque de la lumière intelligible.
Car toute âme à deux
dimensions, celle qui est tournée vers son générateur, l’Intellect,
et celle qui est tournée vers ce qu’elle engendre, le corps : une face tournée vers le Divin, l’autre
vers le divers. La première dimension fait d’elle une Sagesse, en tant qu’elle imite l’Intellect et le déploie en corolle, à partir d’ un
point devenu centre qui rayonne pour se faire cercle (Fig. 3). La seconde fait d’elle une Nature, où la Sagesse se contracte
en figures et se concrétise en corps
subtils (Fig. 4). Le terme de
Nature vient du verbe latin qui signifie naître :
or naître, c’est n’être que ; c’est limiter les possibles qui cohabitaient
simultanément dans l’éternité pour les dérouler
successivement dans le temps selon les espèces du croître et du décroître.
Fig 3. Géométrie Mentale
Fig.4. Les Eaux Mercurielles
C’est pourquoi toute Nature relève de la raison dianoétique,
qui agit par progression selon la durée et par le biais du langage discursif,
pouvant se comparer à la lune avec
ses phases toujours recommencées, alors que toute Sagesse rayonne simultanément
toutes choses sans agir, dans la simultanéité du soleil et dans la verticalité
de la foudre dont le soudain éclat est celui de l’intuition.
Entre ces deux hémisphères
psychiques s’étend un disque équatorial, spéculaire, qui est le plan ontologique propre à l’Âme,
appelé aussi Monde Imaginal ou Monte Intellectif (Fig.5). Ce disque est le résultat du déploiement par l’Âme des
possibilités contenues dans l’Intellect ; celle-ci fait en sorte que ces
possibilités aient lieu,
littéralement, comme raisons séminales
mises à germer dans ce miroir fécond. La saison venue, elles mûriront en
notions innées et en facultés psychiques.
Fig.5. Aperçu général de la Psychosphère.
Cette terre
supérieure, éthérée, est le
« corps » de l’âme, l’orbe qu’elle a déployé en imitant l’Intellect,
ainsi que le prototype de tout nature.
Son mouvement circulaire est celui qui entraîne les sphères célestes (car
l’Astrologie bien comprise le sait bien : les cieux de nos âmes sont bien plus hauts et plus vieux que ceux du
monde). L’âme peut donc être considérée comme Nature Naturante, mère intérieure et supérieure de toute nature
matérielle. Si l’âme semble être dans la nature, la réalité est que la nature
est dans l’âme. Il en est de même pour la catégorie des âmes
particulières : si la naissance est
communément réputée être l’entrée de l’âme dans un corps, la mort doit être
définie comme le retrait du corps dans l’âme. Mais pourquoi les âmes sont-elles
descendues, au prix de leur félicité, dans les tourbillons glauques du
devenir ?
Car nous avons jusque-là utilisé le singulier pour désigner l’Âme. Mais celle-ci n’est-elle pas
plurielle ? N’avons-nous pas chacun
une âme, selon l’opinion commune ? Et d’où proviendrait cette
pluralité, alors qu’il n’y a qu’un seul monde ? Il se trouve que l’Âme du
Monde, en sa perfection sapientiale, émet
une série indéfinie d’âmes singulières, qui sont directement à l’origine de
nos âmes particulières incarnées que nous avons coutume d’appeler individuelles. Pourquoi et comment
l’Âme du Monde, qui semble si parfaite en sa plénitude, se livre-t-elle à cette
émission psychique secondaire ?
Le Désir Absolu,
qui trouve son origine première dans les profondeurs insondables de la Déité
elle-même, traverse l’Intellect, qui l’insuffle
à son tour en l’Âme du Monde. Il découle de son caractère absolu qu’il doit
poursuivre sa course à travers l’être en
son intégralité, tant est infinie sa puissance. Aussi, tel un vent
impétueux doté d’une absolue liberté, ce Désir Originel, lui-même dépourvu
d’origine, sinue à travers êtres et non être comme un serpent sans fin. Ainsi
n’est-il pas étonnant que l’âme qui, telle une voile, est toute gonflée de ce
souffle d’outre monde, aille, elle aussi, naviguer par noms et par formes et à
travers présences et absences.
Or, l’Âme du Monde ne
peut assumer cette errance, étant éternellement stabilisée dans ses noces
avec l’Intellect dont elle est la nature corollaire, la nécessaire parèdre.
Comme le raconte le mythe, les enfants
qu’elle engendre sont perpétuellement absorbés au sein de l’Intellect qui
connaît toutes choses comme lui étant intérieures. Elle doit donc « ruser » pour permettre au Désir Absolu
de poursuivre son acte infini vers lui-même. Pour cela, nous conte encore la
fable, elle donne une pierre à son époux
en lieu et place de Zeus, qu’elle
« sauve » ainsi de l’appétit de Kronos.
Ce leurre, c’est le
tout premier symbole, car s’y manifeste le premier hiatus entre signifiant et signifié, et en même temps s’y
rend nécessaire la première enquête et
la première exégèse. Mais cette non-idée,
ce caillot de non-sens que
représente la Pierre Vomie est aussi le chaos,
prototype du monde que Zeus, corps
vivant signifié par ce corps inerte, devra organiser et irriguer de sens,
irisant ainsi cette scorie par la lumière intelligible, pour en faire, à son
tour, un Tout complet et harmonieux, en un mot, un corps parfait.
Nous venons de découvrir ici que le Cosmos, en tant que révélation de l’Intellect par l’Âme, naît de sa
propre exégèse : n’est-ce pas, dit-on en Inde, par la récitation rituelle des Veda que Brahma
émet les mondes ? (Fig. 6). Et nous contemplons là le prototype de la relation fondamentale entre
la Nature et la Conscience : elles s’engendrent l’une l’autre en une relation dialectique infinie, une
épectase sans fin, une valse
verticale dont le schéma fondamental est, à n’en pas douter, le Caducée du Seigneur aux Pieds Ailés,
notre Maître.
Fig. 6. Brahma récitant les universets.
Et c’est pourquoi
l’Âme du monde émet les âmes particulières par bourgeonnement continu, afin
qu’elles poursuivent, par leur caractère
partial et partiel, c’est-à-dire par leur imperfection même, la diffusion du Désir Divin dans les strates
les plus profondes de la Nature, jusques et y compris à la
matière qui en est le substrat. Chaque âme particulière est une nef en laquelle
le Seigneur qui s’ignore navigue vers
lui-même : une éthernef. Nos âmes sont de petits
soleils humides envoûtées sous un ciel d’os, des bulles d’éther captives,
argentées et tremblantes, qui n’ont de cesse que de retrouver la vastitude de
l’éther libre qui scintille là-haut. Nous sommes toutes et tous des araignées scaphandrier.
Fig. 7 : Argyroneta Aquatica
Ainsi, les âmes particulières sont-elles nées d’une arborescence fulgurante du Désir Primordial,
démultipliée et comme diffractée par ce cristal adamantin de l’Âme du Monde où
la lumière intelligible à élu sa demeure. Chacune de ces monades psychiques est nomade et connaîtra un destin à la fois
commun et différent des autres. Toute âme, en effet, évoluera entre deux états extrêmes : une station
sommitale ou supernale, où elle se confondra asymptotiquement à son
intellect, et où, en quelque sorte, elle épousera son Démon (comme dans le conte
d’Amour et Psyché), et une station basale
ou infernale, correspondant aussi à l’état individuel où elle erre
d’existence en existence à la recherche de ce même intellect qu’elle perçoit
comme étranger, voire monstrueux, ou après lequel elle soupire comme un amour
perdu.
Ainsi, nos âmes
oscillent en permanence entre Intellect et matière, entre unité et multiplicité : tel est
leur destin d’entités médianes, de lien des liens. Dès lors, la Raison universelle se doit de prendre en
charge leur existence dans sa providence. Elle doit les guider dans leur indéfinie pluralité,
déjà influencées en cela par la matière,
dont elles se rapprochent afin de l’animer,
c’est-à-dire afin d’assumer en elle la présence asymptotique de l’Intellect en
toutes ses particules, sans en excepter aucune. Ainsi ce dernier devra-t-il, au
terme inatteignable de ce processus
onto-cognitif, correspondre intégralement avec l’Être. Paradoxalement,
cette coïncidence est déjà réalisée dans
le Noûs, alors qu’elle est pour la
Psyché un idéal inaccessible : c’est la différence entre la providence et la fatalité.
L’âme particulière est finalement comparable à l’Héraclès qu’Homère nous dépeint dans la nekya de son Odyssée (Chant XI) :
à la fois dans l’Hadès, comme héros occis, et dans l’Olympe, comme Dieu
immortel. Entre ces deux extrêmes, l’âme passe par des phases ascensionnelles comme la conversion (épistrophê : retournement
initial) et l’anode (retour vers l’origine céleste) où, sous la motion de son Démon, auquel elle a cessé de résister
désormais, elles recouvrent un état conforme à celui de l’Âme du Monde, et une phase inverse, appelée procession (proodos) ou catabase,
cette dernière pouvant, entre autres, être comparée à celle de Perséphone.
Victime de son inattention,
incapable de supporter l’éclat de l’Évidence solaire de l’Intellect et d’assumer de manière simultanée la Totalité,
l’âme éblouie accuse un retard d’éternité et amorce une
descente en dessous d’elle-même, comme lestée par un excès proliférant de multiplicité ; elle s’enfonce alors sous la
terre intelligible, que symbolise le firmament, et quitte l’éternel empyrée
pour l’empirique, se laissant absorber par une temporalité de plus en plus
aliénante.
A l’endroit (évidemment non localisable) où elle a crevé le ciel, elle laisse un orifice
béant qui est celui de l’étoile de son origine. Puis elle cascade de ciel en
ciel, glissant le long de la voie lactée en développant tout une série
d’excroissances et de concrétions précorporelles, s’alourdissant
progressivement de chacune des puissances
liées symboliquement aux astres dont elle traverse les cieux. Car il est
une loi métaphysique qui veut que tout ajout à partir de la simplicité
surpuissante de l’Un sans second ne soit que faiblesse, division et diminution
de l’être.
Poussées par un désir qui les dépasse, les âmes sont, selon
l’image de Platon dans son Timée, semées dans les cieux, ces sillons du champ de
l’Âme Totale, dont le nombre est précisément de sept, exprimant ainsi, symboliquement le passage de l’unicité à une certaine multiplicité, puisque par ces
semailles, cette Âme devient sept âmes.
Mais ce nombre exprime également l’avènement d’une certaine spatialisation corrélative à une certaine spécialisation : les âmes en effet se différencient
entre elles par la prédominance de
certaines qualités et vertus, selon la providence de certain Dieu :
qui les tiendra d’Arès, qui d’Apollon ou d’Aphrodite, et ainsi de suite.
Ce Dieu joue pour l’âme qui est ainsi tombée sous son
emprise le rôle d’Intellect Divin ou
intellect actif, car il est pour ainsi dire leur démiurge et leur seigneur : il est pour cet âme son éclat recteur. Dès lors, celle-ci lui
fait cortège et son Dieu devient pour elle le guide ultime et le but de sa
conversion, mais aussi la cause de sa procession et le soutien ainsi que la
référence de sa station, aussi bien supernale qu’infernale.
On dit de ces âmes qu’elles sont les suivantes de leur Dieu, comme les Ménades, les Satyres et
les Bacchants sont les suivants de Dionysos, qui préside à leur destin, ou
encore qu’elles font partie de sa chaîne
hiératique. Ainsi Proclus, de
son propre aveu, faisait partie de la
chaîne d’Athéna. C’est ce Dieu-là qui dépose en chaque âme son étincelle
fondamentale, celle de l’identité Divine, en tant qu’Intellect particulier, ramification de l’Intellect Universel ;
si le second est actif et divin, le
premier est passif et démonique.
C’est lui précisément que Socrate
appelait son Daïmon, car il était, en tant que Sage, hautement conscient de
sa présence, et se conformait à ses avis, alors que la masse des hommes
l’ignorent tout bonnement et se rebellent continuellement contre lui.
C’est ce Démon
Personnel que les Romains connaissent sous la dénomination de Génie pour les hommes et de Junon pour les femmes, et qui nous
tient lieu de guide intérieur, de garant divin et de gardien de notre identité suprême. Les Anciens avaient coutume de
le situer symboliquement dans le cœur,
car cet organe peut être comparé par analogie au soleil dans le ciel, diffusant partout sa lumière comme le sang
diffuse la vie. Le cœur, organe essentiel, est le foyer de l’Être dans l’ordre corporel et la lanterne de l’essence
véritable de chacun d’entre nous, comme le savaient déjà si bien les Égyptiens.
L’homme se rencontre lui-même en son
cœur.
Mais le cœur peut aussi être comparé au fil à plomb dont notre démiurge s’est servi pour édifier notre
corps, ainsi qu’à la nacelle dont il se
servira pour nous déifier. En effet, le cœur est la dernière station du
monde intérieur et le seuil du monde
corporel ; il est comme un sas palpitant entre la vastitude sans fin
de l’inétendu des mondes supérieurs et l’espace confiné qu’on appelle ici-bas
« étendue », et dont on vante à tort la mesquine immensité. Il est l'ultime astre pourpre du dernier ciel,
le dernier centre, serrant en son poing notre particularité, dernier degré de l’unité avant la
dispersion unique dans l’extériorité totale.
Et c’est pourquoi, après le cœur, station la plus basse de l’oscillation psychique, il n’est d’autre
voie pour le Désir Divin que la conversion vers lui-même et le retour vers
l’origine, à l’instar du plongeur qui remonterait à la surface de l’être d’un
vigoureux coup de talon. L’espace d’une existence, cependant, ce plongeur est
retenu par des filets de souffle liés à
l’égo, mais la mort ou l’initiation (comme nous l’avons vu plus haut dans
l’article E comme Ésotérisme) seront pour lui des occasions de retourner à la
plénitude et d’échapper à l’asphyxie d’ici-bas.
Une autre histoire sacrée nous enseigne encore combien précieux est le cœur dans le destin
de nos âmes : après qu’il ait été déchiré et dévoré par les Titans, ces divinités antiques et
sauvages semblables aux passions qui déchirent nos âmes, le cœur intact de Zagreus, dédaigné par
ses bourreaux, fut recueilli et sauvé
par Athéna qui permit que, grâce à ce précieux vestige de la Totalité, son frère pût connaître une nouvelle
existence en tant que Dionysos.
C’est à partir du cœur que l’âme particulière va déployer ce
qu’on a coutume d’appeler son corps : parvenue au niveau ontologique le plus bas du Cosmos, symbolisé dans la cosmologie
traditionnelle par le Terre, l’âme est comme saisie, dans sa frénésie de multiplicité et dans son
vain désir de rattraper l’uni-totalité dont elle se sait issue, d’émettre un corps mortel fait de matière
entièrement divisible. C’est là le corps ostréeux dont nous parlions plus haut. Mais si l’Âme du Monde, en tant que Nature Naturante émettant à
partir d’elle une nature naturée comme expression nécessaire de sa sagesse,
développe un corps sempiternel, unique et parfait, les âmes partielles, quant à
elles, suscitent des corps mortels, successifs et imparfaits.
Fig. 8 : Anatomies du Psychozoaire.
Ceux-ci sont conçus dans la matrice inconsciente de l’âme sous forme d’un protosome, corps subtil
non tissé de matière, mais à partir de l’humeur
spirituelle inférieure de l’âme comparable à ce qu’est le fil pour
l’araignée, sorte de souffle visqueux appelé pneuma. L’âme projette ensuite son désir ainsi focalisé sur un
fragment de matière qu’elle aime et qu’elle anime, à travers le prisme
configurateur du protosome.
C’est pourquoi il est inexact
de dire de l’âme qu’elle est enfermée dans un corps, car elle est seulement présente à celui-ci, sur un
mode incorporel, un peu à la manière d’un modèle et de son reflet. Elle préside au corps plutôt qu’elle y
habite : elle n’interagit pour ainsi dire pas avec la matière
corporelle, si ce n’est en intention, car elle est obnubilée et comme hypnotisée
par cette silhouette à laquelle elle
s’est identifiée jusqu’à s’oublier dans un sommeil mortifère et même, dans
les cas extrêmes, jusqu’à nier sa propre existence. C’est la raison pour
laquelle on la décrit, à ce moment, comme hyponoïaque.
En cette phase, tout laisse à penser que l’âme n’a pas les
moyens de s’en sortir toute seule. Il y eut à ce sujet une polémique dans l’École Néoplatonicienne, entre les partisans de la thèse selon laquelle l’âme
est « entièrement descendue
ici-bas », et ceux pour qui « une
partie seulement » de cette dernière est descendue, l’autre restant
« là-haut », c’est-à-dire unie à l’Intellect. C’est un peu comme si
l’âme était, en quelque sorte, suspendue
à elle-même, et plusieurs mythes de notre Tradition nous montrent en effet
des héroïnes, voire des Déesses, qui
se pendaient par désespoir, et que
l’on célèbre, dans certaines fêtes, par des figurines appelées oscillae.
Ce fut le cas d’Erigone,
de Phèdre, ou encore d’Ariane qui, dans une des versions de
son mythe, se pendit après avoir été délaissée
par Thésée. Or, au regard de ces
mythes et de celui d’Héraclès mentionné plus haut, nous optons volontiers pour
la thèse selon laquelle une « partie » de nos âmes seulement est
descendue ici-bas.
Nos âmes sont en
effet semblables à Ariane : elles sont des Déesses endormies, en attente de leur Éveilleur qui n’est autre que
leur Époux mystique. Celui-ci leur est à la fois intérieur et extérieur, car il est la figure providentielle et
libératrice qu’a pris leur Intellect pour les ramener vers les hauteurs
éthérées, et pour les couronner d’étoiles. Ainsi en témoigne le Trismégiste : « C’est
qu’Il a voulu, mon enfant, que l’Intellect fut présenté aux âmes comme le prix
qu’elles eussent à gagner » (Corpus
Hermeticum IV, 3).
Mais, dans l’état de fascination
où elles se trouvent, nos âmes sont en quelque sorte devenues schizoïdes. Cependant, l’illusion ne
les concerne qu’en tant qu’elles se sont perdues dans les méandres du monde
sublunaire. Pour animer « son » corps, l’âme projette une chimère mentale appelée ego, qui est en quelque sorte une excroissance aberrante du Je déposé
jadis en elle par l’Intellect, une identité
fallacieuse capable de faire assumer à l’âme la limitation de sa condition,
de tisser autour d’elle la toile de la volonté individuelle et de s’y
complaire. Cette entité hypocrite au
sens étymologique du terme ("sous le masque") se fait passer pour la Personne (même étymologie en latin) pour
prendre sa place.
L’égo a capté les
facultés déposées en l’âme afin de les instrumentaliser
à son profit, notamment la raison
dianoétique qui dérive de l’intuition intellectuelle dans le monde
temporel, et qui permet d’appréhender celui-ci en mode de succession et sous
forme de discours. C’est par ce même
discours, confisqué, qu’il va empêcher l’âme de se tourner vers
l’intellection pure, en l’enjôlant et en la berçant de belles paroles. Car l’astuce lui tient lieu de sagesse, et
il aime à utiliser, bien souvent, sa propre critique pour mieux masquer sa
domination.
C’est à partir de sa position
usurpée qu’il peut dévoyer les
facultés connaturelles de l’âme pour y déchaîner les passions, ces puissances coupées de leur principes, analogues
microcosmiques des Titans du macrocosme, qui vont rendre l’âme opaque et l’incarcérer en elle-même, à la fois
geôliers et détenus. Car plutôt que
d’être enfermée dans un corps, c’est en elle-même que l’âme est enfermée.
Ces passions qui se partagent l’âme comme leur propriété
sont comparables aux Prétendants de
l’Odyssée, alors que l’âme en elle-même peut-être aisément reconnue sous les
traits de Pénélope, et que Télémaque personnifie quant à lui le
moi véritable, le moi illustre qui
s’oppose aux moi illusoires qui prétendent
à la royauté du Soi. Ce moi soupire après sa souveraineté perdue que seule
peut restaurer Ulysse, le Père qui détient son identité éternelle,
le Soi.
Aussi, tant que l’égo
n’est pas neutralisé, l’âme ne peut retrouver sa liberté fondamentale. Et
c’est là qu’il nous faut mentionner cette admirable ruse de l’ego, la dernière
en date, la moderne égophobie qui prolifère actuellement dans les milieux New Age.
L’ego s’y livre à son activité de prédilection, à savoir à l’autoflagellation, qui lui permet de perpétuer son existence moyennant ce
spectaculaire masochisme. C’est là une ruse redoutable, car conspuer l’ego revient en définitive à
mépriser la première marche de toute progression spirituelle véritable.
En effet, l’ego est
ici-bas la seule manifestation tangible de l’Identité Éternelle, la seule
instance possible du sujet capable de religion, fut-elle imparfaite. Le tuer
consiste donc à s’interdire toute
remontée et à couper la corde du salut. Cette corde coupée, fut-elle celle
d’un pendu, on ne dispose que d’un cadavre, et de ses seuls yeux pour pleurer.
C’est pourquoi Homère ne nous montre
pas Télémaque révolté contre les
prétendants et tentant de les tuer, mais au contraire soumis à eux en apparence
et, à l’instar de sa mère, comme le lui conseille Mentor, rusant avec eux. Son seul acte de rébellion consiste à
refuser de participer à leurs festins et à se dérober à leurs sollicitations,
s’absentant autant qu’il le peut pour mieux enquêter sur le retour de son Père.
C’est seulement lorsqu’Ulysse reviendra
dans son manoir que les prétendants seront exterminés…
Ainsi, le Sage ne s’opposera
pas frontalement aux passions, mais il leur refusera son assentiment et sa caution ; au contraire, il se retirera autant que possible en lui-même,
auprès de cette Porte Battante qui
sépare l’unité de la multiplicité (comme la Pylos des Sables où règne Nestor),
afin d’y offrir le sacrifice de sa
méditation, et d’y enquêter,
avec l’aide de son Démon, sur le retour du Père des Âmes.
Car il faut être dans
le monde comme n’y étant pas, et c’est seulement ainsi qu’on pourra se
conformer à l’Âme bienheureuse qui régit l’harmonie du Tout sans le moindre
effort. Parfois, dans un rêve, il arrive au dormeur de s’aviser qu’il rêve, et
d’en ressentir alors une félicité souveraine. Le songe, pour autant, ne cesse
pas, mais sans en modifier le cours, le rêveur en prend le contrôle comme on
est maître de son propre discours. C’est
en vérité un rêve lucide que notre destin : il ne tient qu’à nous de
transformer la tragique fatalité en bienheureuse providence, en nous
identifiant au moi illusoire ou au moi illustre, à la victime ou au
sacrificateur.
Ainsi l’âme
intellectuelle, en sa sagesse,
se donne à sa nature comme providence
intérieure. Car il est nécessaire que l’abeille aille butiner de fleur en
fleur pour récolter le pollen, afin qu’en la ruche soit élaboré le miel. De
même, il fallait que l’âme aille butiner
la corolle des choses pour y recueillir (relegere en latin, une
des deux étymologies de religio) le pollen de la multiplicité et le nectar de l’expérience, par le moyen du Mens. Et, sa tournée
terminée, rentrée dans la ruche céleste de l’Intellect solaire, elle élaborera
avec ses sœurs le miel ineffable de l’Impérience. Ainsi, par le truchement du Verbe qui est sa modalisation et qui
pénètre l’univers entier, ne laissant aucune parcelle de matière à l’écart de
la lumière voyante et efficace de l’Intelligible, elle ramènera le moindre brin d’herbe d’ici-bas à sa raison séminale.
Et l’âme réalisera ainsi sa vocation éternelle, qui est de célébrer,
en tant que médiatrice universelle et matrice des Idées éternelles, les noces cosmiques de la matière et de
l’esprit.