mercredi 1 février 2017

Méditation au pied de la Flamme



Salve Domina Dea Flammipotens ! Fer opem, precor, ad tua sacra veni !
Salut, Dame Vesta ! Veuille éclairer ma lanterne de Ta flamme bienveillante, pour que j’expose à tous Ta puissance et Tes bienfaits, comme il est juste !


Les Puissances Éternelles s’avancent à travers toutes choses, et leur providence traverse l’univers de part en part.
Jaillissant de leur source ineffable, elles se distinguent à l’unisson dans la Prairie Intelligible, puis, déployant leurs splendeurs dans les jardins de l’âme, elles viennent jusque dans les vallées sensibles illuminer nos vies quotidiennes, à telle enseigne que rien dans l’univers n’est jamais privé de la présence divine.
Ainsi, Dame Vesta, Ta lumière provient des régions inconnues qu’aucun œil mortel jamais n’a perçu, et où l’âme éblouie par l’évidence éclatante ne peut voir que la nuit. C’est en cette Nuit profonde que chaque Immortel puise son origine, mais Toi, Vesta, Tu es la première à en être surgie.
Comment pourrait-on Te décrire, Déesse ? Tu es la Divinité même et nos mots sont indigents devant Ta surabondante clarté ; ils sont insuffisants à Te contenir.

Sur la Prairie Intelligible

Vesta est en effet la racine même de la Divinité : Elle est l’Être qui se rend visible dans la lumière. Au matin du monde, c’est Elle qui alluma pour tous l’existence, rendant visible tout ce qui auparavant gisait, caché dans les ténèbres. Elle est comme la Signature du Sans Nom, la Primignature. C’est pourquoi les Hellènes lui sacrifient en premier en toute occasion.
Car de l’Un, on ne peut rien dire, on ne peut même pas le penser : qui pense l’Un le perd aussitôt et qui le dit le divise en sa devise même. Mais dans la Nuit sans fond ni bord, une lueur s’est levée, sans raison ni pourquoi, comme un témoin fidèle et muet de l’Inconcevable.
Elle s’est dressée comme la sentinelle de l’Indicible, la Veilleuse de l’Infini. Elle a jailli soudainement, en cet instant qui n’eut jamais lieu mais qui dure toujours, du frottement sans fin des ténèbres contre elles même, de l’affliction du Néant sur sa propre absence, de la friction du vide avec le rien. Elle a changé le deuil en Dieu.
C’est en Elle et en Elle seule que la Divinité se connaît et se voit. Elle en est à la fois le cœur et l’œil. C’est en Elle que Dieu se complet et s’émerveille : Elle en est la substance manifeste, la Protousie, la chair infinie ; Elle est la Terre ignée sur laquelle Dieu a lieu, l’Empyrée qui flamboie au-delà des étoiles, le champ d’ailes d’où proviennent nos âmes…
Allumée dans le vide infini, Elle l’occulte entièrement, Ô merveille, en son giron de lumière. Ainsi, c’est en Elle que Dieu s’est fait Dieu, c’est en cette claire matrice que Dieu s’est fait à lui-même présent. Vesta est la Haute Flamme, matrice incandescente de l’Être, sommet ardent de toute nature : elle est le Foyer éternel de l’Olympe, point de tangence du Monde avec son indicible origine, étoile polaire. C’est pourquoi Proclus écrit qu’Elle « contient les sommets de l’Univers » (Théologie Platonicienne). Elle convertit de toute éternité l’Infini en Un fini.
C’est en Elle, donc, et en Elle seule, que toute divinité a personnalité : suspendue au non-être comme une goutte paradoxale, elle est l’Hypostase Première, masquant l’Absolu de son humble lumière ; elle est l’Humière, paradoxe vivant et vie paradoxale, qui consent à manifester l’Inexprimable et à naître d’une colonne de cire où Elle vient se refléter.
Ainsi est-Elle à la fois la Mère et la Fille de toute divinité ; à la fois base et sommet de toute réalité. En Elle, toute chose prend racine et s’épanouit dans la perfection, car elle est l’Idée des Idées, la Protidée, éther vif et terre intelligible. Ainsi, Plotin dit de Dieu (Ennéade VI, 8 : 14) « C’est comme s’Il S’appuyait sur Lui-même et s’Il jetait un regard sur Lui-même » : ce regard souverain qui fonde l’existence comme expérience de soi, ce regard qui est cause simultanément de Lui-même et des autres, c’est Vesta en tant qu’Œil Solaire, comme nous le verrons un peu plus bas. Elle fonde en outre la béatitude infinie de Dieu en tant qu’il jouit de sa propre splendeur, son existence comme extase en exultation d’ampleur sans limite, son éternité comme jubilation sans début ni fin.
Image féminine de l’Unité, Elle est cette Unité elle-même qui rayonne lorsqu’elle est participée. Agir, pour Elle, c’est briller, c’est là son acte unique et royal, qui la fait « siéger à jamais » (Premier Hymne Homérique à Hestia, 3) établissant la Demeure qui lui est consubstantielle, la Regia. Sa présence primordiale fonde sa préséance sur toutes choses, en tant que manifestation focale du Bien qui se communique de lui-même, sans limite, et sans être diminué.
Cette flamme qui se donne entièrement à chaque instant, et dont la lumière symbolise pour nous la Conscience, est encore Amour par sa chaleur. Cet amour sans limite manifeste la liberté absolue du don de soi, la jouissance de se trouver à l’instant même où l’on s’est perdu : plénitude paradoxale du don infini d’une infinie fécondité, origine d’un rayonnement lui-même sans fin. Cette Amour absolu est l’essence même du soleil, qui se manifeste simultanément, de manière paradoxale, en la personne d’Apollon et en celle de Dionysos, tous deux images de la sainteté dans la sagesse comme dans la folie.
Là-bas, la flamme d’Hestia est infinie, elle est à la fois terre et feu, immense prairie de flammes humides où toutes choses sont appelées à se manifester. Elle est la table ardente et pure où tout être est invité à sa propre existence, car tous sont les convives d’Hestia, en tant qu’Elle est, par son nom sacré, le Repos (Hesychia), le Repas (Histiè), et l’Essence (Ousia), comme nous l’enseigne le Divin Platon. Elle manifeste toutes choses dans la bienheureuse simultanéité de l’Intelligible comme étant Sa corolle de splendeur.
Si Hermès, son chevalier servant, profère toutes choses à l’extérieur par la flamme sonore du Logos, Hestia montre toute chose par la parole ignée de l’Eidos. C’est en Elle en effet que tous, nous avons notre existence et notre repos, car la Déesse est une langue qui nous adresse cet appel silencieux : « Tu es ». Elle est cette Mère aimante qui instaure la conscience que nous avons de nous-mêmes et nourrit notre présence à nous-mêmes, comme une flamme unique et pourtant innombrable, qui se communique à tous et à chacun sans jamais diminuer sa clarté. Elle nous embrasse tous en son embrasement, elle fonde notre unité intime comme elle fonda en l’Un l’intime infinité.
De sa langue dressée, Elle profère toute lumière, et chasse toute confusion par la diffusion du sens qu’Elle montre par son corps même, direction primordiale de verticalité.

Dans les jardins de l’âme

Fuselée comme une amande, la flamme vestalienne déroule le fil de l’être comme le fil du regard de son œil. Elle tresse ainsi le lien cordial qui descend d’œil en œil et de symbole en symbole à travers les mondes jusqu’aux Enfers où règne Perséphone. Il n’est pas un lieu en ce monde qui ne soit, grâce à Vesta, de mèche avec l’Absolu (Fig. 1). Car son regard est en même temps la lumière voyante, efficace et opérative, qui tisse désormais les fils de l’Existence. La Déesse a déployé par sa clarté une sphère où toute chose est contenue ; sphère dont Elle est le centre omniprésent et dont Elle étend la circonférence à l’infini. C’est en mémoire de cela que ses sanctuaires sont ronds comme le soleil, le prytanée du Monde, foyer sacré de l’Immensité.
Elle est Celle qui rend visible toutes choses ; en Elle s’illustre toute image, se déploie toute splendeur, comme la Rose qui partage son parfum et qui, toujours déshabillée, n’est pourtant jamais nue ; La flamme, toujours effeuillée, garde son mystère au cœur de sa lumière, qu’elle donne sans compter. Mère de toute image, elle n’a Elle-même pas d’image, car Elle est l’Image par excellence, en qui se conjoignent le regard et l’objet regardé. Elle est la Primagie, la Proticône, à la fois une et nue puisqu’habillée de sa propre vision.
Perchée au centre de toute chose, elle en est l’intériorité, elle en affirme l’identité ; cachée dans l’intime quiddité des êtres comme une amande ignée, Elle en assure la manifestation extérieure (Fig. 2). C’est par Elle que nous avons l’intuition de l’essence ultime de chaque chose, si nous savons contempler sans disséquer. Elle est la Maîtresse de toute contemplation, et par concentration, déploie tout domaine en demeure et abolit toute effraction entre extérieur et intérieur. Et c’est là le secret de sa virginité : la flamme ne peut être pénétrée par rien qui ne soit elle-même.
Convertissant vers l’intérieur ce qui est extérieur, Elle subtilise les substances par son adorable et odorant mystère ; en retour, Elle rend manifeste tout ce qui est caché et coagule tout ce qui est subtil. Voilà pourquoi elle est la Porte de l’Imaginal : Elle spiritualise les corps et corporifie les esprits. Elle rend fragrant ce qui était pesant et flagrant ce qui était occulte. Elle est à l’origine de la conversion des êtres corporels et de la procession des êtres spirituels. En Elle réside le secret de la permanence, tant supérieure qu’inférieure : Elle en est la Puissance. Elle est le moteur de la convection de L’Être et de l’immobile révolution du Cosmos (Fig. 3).
Ainsi, toute nature, supérieure comme inférieure, est ordonnée à Hestia. L’Univers en effet est formée de l’entrelacement hiérarchique de trois Natures : au sommet de l’univers, l’ordre primordial correspond à la Nature Naturante, sur laquelle règne Rhéa, l’Abondance absolue, la Nature Intégrale, épouse de l’Intellect, Saturne. Sur la Nature médiane, naturée, et déployée comme une âme, règnent Héra, Artémis et Athéna, qui en explicitent les raisons. Enfin, parce qu’elle est passive, cette Nature Naturée ne peut se maintenir elle-même et doit s’écouler indéfiniment dans le devenir : c’est la Nature Sensible ou Nymphale, dominée par l’alternance des jours et des nuits, des vies et des morts, et c’est sur elle que règnent Déméter et Coré, sa Fille aux belles chevilles (Fig. 4).

C’est au milieu de ces six Reines que rayonne Dame Vesta : elle est la Septième, et se tient simultanément en haut et en bas, comme Hécate (Fig. 5).
Car elle est la Vie par excellence, la Vie souveraine ; et s’il est vrai que chaque Dieu, comme l’enseigne Proclus, possède deux mouvements fondamentaux : un mouvement de conversion vers soi-même et un mouvement de conversion vers son Principe, Hestia, en chaque Puissance Divine, est la Puissance de conversion vers soi-même. Elle est la vie propre de chacun des Bienheureux, le centre immobile et stable de son domaine d’action, l’essence même de sa souveraineté divine, sa Présence Efficace. Et le Présent se fit serpent…
C’est en vertu de cette vérité sacrée que les Egyptiens dans leur sagesse ont donné à Vesta l’apparence d’un serpent femelle dressé, au cou gonflé, l’Oudjat. Sur le front auguste de chaque Puissance souveraine, en effet, Elle se dresse en sifflant comme reflet de l’Idée Primordiale par laquelle Dieu se saisit lui-même comme Personne Suprême. Cette Uraeus, qui brille au front des Divinités comme la flamme sur la cire d’une chandelle, est comme un œil supérieur, marque visible de leur conscience totale et de leur présence éternelle. Cet Œil évidentiel est la matrice de l’auréole qui déploie l’être au monde spécifique à chaque Dieu, son domaine ontologique, qui est à la fois distinct et identique de ceux des autres Dieux (Fig. 6). Car les Dieux sont les uns les autres, sans séparation ni confusion, c’est là le secret de leur allélousie, et c’est dans la Flamme unique et innombrable d’Hestia qu’il faut la contempler. Et cette allélousie bienheureuse des Immortels nous est confirmée dans les Mythes sous la forme de leur Festin éternel.
Que Vesta dit-Elle de nous-mêmes ? Et que nous révèle-t-Elle de notre âme ?  Car les vérités universelles et divines assurément se reflètent dans les vérités humaines et particulières ; et si la Déesse est le foyer de la Maison Commune, la lumière du Monde, Elle est en même temps le foyer intime de chacune et de chacun de nous en tant que microcosme.
Lorsque la Divinité, dépourvue de toute jalousie, détacha d’elle-même une parcelle pour nous donner l’existence, telle un brasier d’amour d’où une étincelle avait soudain jailli,  Vesta est comme cette graine ignée qui fut semée en nous de toute éternité : elle est l’éclat natif de la Di-ignitas, l’ignitude des Dieux qui se manifeste dans la dignité inhérente à toute personne humaine ; et c’est cet héritage  sacré qu’il nous faut faire croître et fructifier dans la Majesté, en prenant soin de notre âme, et en cultivant ses vertus afin que notre conscience, signe efficace de la Déesse en nous, soit augmentée. Et lorsque la flamme gagne en hauteur, le cercle de clarté qu’elle projette augmente d’autant, et avec lui, le domaine auguste de ce qui dépend de nous, notre empire sur nous-même ; notre présence s’élargit alors que recule le vice et la malignité. Ainsi, l’homme de bien se rapproche-t-il des Dieux par son immensification

Dans les vallées sensibles

Jadis, les humains vivaient isolés, dit-on, les uns des autres, et ne possédaient pas le feu. Ils menaient une existence misérable, réduits qu’ils étaient à manger les glands, d’où leur nom de balanophages. On raconte que, par pitié pour leur triste condition, le feu leur fut accordé par le Ciel, et les hommes s’en émerveillèrent, voyant à quel point cet élément manifestait la lumière Divine dont ils avaient gardé quelque obscure nostalgie. Ils ne tardèrent pas à reconnaître en la flamme la présence d’Hestia, la Mère des Lumières, et se laissèrent persuader par son doux et clair langage de venir se rassembler en son giron pour mener une vie pure et ordonnée, tissant entre eux des relations de solidarité et de mutuelle estime.
C’est ainsi que naquirent les Cités, et que les hommes entrèrent, grâce à Hestia Prytanéenne, dans la parenté des Dieux, devenant des êtres transignés, capables de concevoir l’Inconcevable. Devenus synestioi, Citoyens-convives, les hommes commencèrent à sacrifier et à observer les fêtes, marchant, pour ainsi dire, du pas des Immortels. Et c’est ainsi qu’Hestia, la Déesse de tous les Bonheurs, relia toute cité humaine à la cité éternelle, la Citadelle Céleste des Bienheureux.
Parmi les humains, les uns, sur les bords de l’Océan, la nommèrent Bélisama, d’autres, dans les froidures du nord, Fricca ou Sigyn, Gabija sur les bords de la Baltique et Uraeus sur les bords du Nil. Même dans les Indes lointaines, on la vénère sous le nom de Sitâlâ, brasier où les jeunes fiancées sacrifient lors de leur entrée au foyer.  Mais tous les humains avaient reconnu la Déesse Flammifère et lui rendaient un culte, comme point focal de toute présence, et reflet intime ici-bas de l’Empyréenne Infinité.
C’est pourquoi Numa notre Roi institua pour la Ville une flamme éternelle, qu’il fit garder par six femmes d’exception, le miel des femmes. Et ces six femmes sont vraiment comme des abeilles autour de la flamme, septième et centrale d’entre elles.
Car c’est ici-bas que nous avons l’expérience première des Puissances Divines, et c’est dans la vie quotidienne que s’élabore nécessairement cette expérience. Elle naît dans la corolle de notre âme en sa condition incarnée, comme individu singulier dans la prairie des sens, pris dans le tourbillon des ans et des saisons. Au fil des génération et par la nature des choses s’est élaboré notre Tradition, formulée d’âge en âge par nos législateurs, assidus compagnons des mystères divins.
Chaque cycle liturgique est ainsi comme l’épopée singulière d’un astre divin sous la voûte des temples, qui déroule l’éternité mythique dans la temporalité de nos rites.
Celui de Vesta, comme il est juste, commence avec l’année sacrée, le premier Mars, et culmine entre le 9 et le 15 juin, le cycle vestal par excellence.
Car c’est le premier jour de Mars que les Vierges Vestales allument le Feu Nouveau, jour où Junon Lucine donne l’année au monde et le jour à l’année : tu nobis lucem, Lucina, dedisti (Ovide, Fastes, 3 :255). Ce jour-là, dit « saturnales des femmes », commémore aussi la réconciliation des Romains et des Sabins après l’enlèvement des Sabines, et ce jour est un jour de paix et de sérénité : la lumière est un feu qui se languit d’amour. De nouveaux lauriers ornent les maisons des flamines, et notre Déesse y danse en crépitant d’aise.
Le 6 Mars Elle est honorée conjointement aux Lares de la Ville.
Puis Dame Vesta fournira au Quirites les moyens de se purifier tout au long de l’année et le viatique indispensable à tout acte sacré.
Le 15 avril, lors des Fordicidies en l’honneur de la Terre, les cendres de l’embryon du veau seront pieusement récoltées ; le 21 avril, pour la fête de Palès et l’anniversaire de notre Patrie, les cendres du veau mêlées à celles des tiges des fèves creuses et au sang séché du cheval d’Octobre tombé le 15 octobre serviront aux Romains à purifier leurs maisons et étables, comme fumigation. Ainsi les cendres périphériques des occis dans l’année sont-elles mystérieusement rassemblées vers le centre dont elles contribuent à la régénération.
Entre le 7 et le 14 mai, les Vestales iront de nuit cueillir les épis qui permettront de fabriquer la poudre sacrificielle, la Mola Salsa.
Le 14 mai, les Vestales en deuil jettent dans le Tibre les 27 mannequins d’osier de la cérémonie des Argées.
En juin, toujours en compagnie de Junon, culmine le culte de la Déesse :
Du 7 au 15, les Matrones ont accès au Penus Vestae, habituellement accessible aux seules Vestales ; le 9, le sanctuaire rond bâti par Numa sur le Forum, et qui accueille les objets vénérables que notre Père Enée sauva du sac de Troie, est ouvert. Ce jour, les boulangers honorent Vesta. Les ânes qui font tourner les meules sont honorés de couronnes de pain (la fleur de Vesta n’est-elle pas aussi celle de la farine ?), alors que les meules sont elles-mêmes couronnées de fleurs. Les Vestales offrent à la Déesse la Mola Salsa, indispensable au sacrifice, qu’elles ont confectionné avec les épis d’épeautre et le sel.
Le 15 juin à lieu le grand nettoyage du sanctuaire, et les impuretés (stercus) sont enlevées et portées à la porta stercoraria puis au Tibre (quando stercus delatum fas). Comme la roue à aube d’un moulin éternel, l’année écope le temps, elle irrigue notre quotidien et le draine en même temps. Ses fastes, toujours renouvelés, consument les impuretés existentielles et évacuent les toxines et venins nés de l’écume des jours. Au centre de cette procession circulaire, comme une mère attentive, se tient Vesta, infatigable témoin de nos jeux temporels. Elle est l’essieu des cycles de nos existences, elle est la garante de notre inévitable retour au Foyer Natal. Bienveillante, elle brûle en silence nos ombres et nos troubles. Ainsi, Mère, en ce jour nous Te montrons combien nous sommes conscients de Ta Présence, et combien nous savons que Ta pureté condescend à nos genoux salis dans la cour du Temps. Et nous prendrons en charge, nous-mêmes, les scories du devenir et les poussières de la durée. Puis, nous irons fermer l’huis de Ton temple, jusqu’à l’an prochain, où nous espérons revenir avec un degré de clarté supérieur.
Le 7 juillet, les Vestales participent à l’ouverture de la fosse de Consus dans le grand cirque : progressivement sont ainsi dévoilés tous les étages du monde, pour qu’y pénètre la conscience-présence dont notre Dame est garante.
Le 25 Août, Ops est honorée par les Vestales à la Regia. 
Dans la nuit du 3 au 4 Décembre, les Vestales conduiront les cérémonies de Damia, dite aussi Bona Dea, exclusivement réservées aux femmes.
En février, enfin, c’est la Grande Vestale qui célébrera les rituels des défunts, lors de la Parentatio du 13 en l’honneur de Tarpeia et des Feralia du 21. Et ainsi se termine le cycle de l’an à la lueur du foyer commun du Peuple Romain.
Il nous faut accueillir les Dieux chez nous ici-bas, reflétant ainsi cette générosité qui fit que la Flamme Hypostatique se détacha d’elle-même pour nous communiquer son être. Faire cela, c’est faire acte de réminiscence, et c’est remembrer Celui dont nous sommes tous les membres épars. Cette feuille enflammée qui se détacha jadis de l’arbre chandelier de l’Empyrée pour venir poser son empreinte sur l’humus matériel doit nécessairement remonter, portée par le souffle de nos prières. Flamme certaine, Vesta est parmi nous la boussole absolue qui pointe vers les régions inétendues, nous rappelant l’éternité au cœur du quotidien.
Il n’est qu’une seule Vesta qui brille en une infinité de foyers différents, et la flamme est la même sur toutes les chandelles, éclairant à chaque fois un monde différent en son existence, mais unique en son essence. La Déesse nous enseigne ainsi l’Amour véritable, qui consiste à percevoir en autrui la Flamme divine comme simultanément même et autre, à se laisser embraser par sa rencontre, à se laisser initier par le délicieux mystère de la transpersonnalité, où l’on reconnaît la flamme comme singulière et universelle à la fois.
Vesta berce la braise de notre bonheur dans son tablier. Le bonheur en vérité est l’huile qui découle de ses cheveux, et qui fait luire toute chose de l’éclat de sa joie, celle d’avoir réintégré sa propre nature et de s’y reposer. Car chaque être ici-bas aspire à retrouver son foyer pour y célébrer ses retrouvailles et pour y communier avec l’univers entier.

Ô Vesta, Flamme Sainte,
Fais de mon cœur Ta lampe,
Fais de mes pupilles Ton miroir,
Fidèle témoin de Ta clarté.
Toi, claire conscience partout répandue,
Toujours centrale, en tout lieu, à jamais,
Détermine, Ô Déesse, de ton précieux éclat,
L’angle unique de ma visée
Dans le rayon de ton regard maternel,
Et garde la part qui est mienne dans la roue éternelle
Dont Tu es le moyeu où s’ajuste toute chose,
Toi, ardent fil à plomb des Bâtisseurs du Ciel !

VIVAX FLAMMA VIGET !

Omen sit.

Lupercus scripsit.

4 commentaires:

  1. Je retrouve içi des idées de Jacob Böhme, de Robert Fludd, d'Anathase Kircher,Raymond Lulle, telles qu'elles sont décrites dans le Musée hermétique: alchimie et mystique par Alexander Roob, publié chez Taschen.

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  3. Je ne les ai pas tous lus : j'ai lu plusieurs ouvrages de Jacob Böhme, Raymond Lulle et un ouvrage sur Robert Fludd, il y a fort longtemps.

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  4. Merci beaucoup, c'est magnifique.

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